PostĂ© par Thomas Debesse le 02/03/2023 Ă 19:30. Licence CC by (copiez-moiâŻ!)
ââŻregarder sur la chaĂźne Youtube Nâoubliez pas de vivre (Licence CC ByâSA)
Le film «âŻVaincre ou mourirâŻÂ» sorti au cinĂ©ma en janvier 2023 a suscitĂ© un ensemble de rĂ©actions et jâai envie de rĂ©pondre Ă certaines choses que jâai entendues qui mâont semblĂ©es pour le moins curieuses. Peut-ĂȘtre puis-je participer Ă nourrir une rĂ©flexion sur le cinĂ©ma, le film historique, notre relation Ă lâhistoire et au cinĂ©ma, etc.
Je ne vais pas vraiment faire une critique du film lui-mĂȘme car aprĂšs presque un mois Ă©normĂ©ment de choses ont dĂ©jĂ Ă©tĂ© dites, et je vous propose de partir de certaines choses que jâai entendues comme base de conversation.
Vaincre ou mourir, le film survivant
[Générique]
Jâai entendu dans la vidĂ©o de la chaĂźne Intercut sur ce film lâanimateur de la chaĂźne aborder avec raison le fait que Vaincre ou Mourir a Ă©tĂ© financĂ© par le CNC et Canal+. Et puis il ditâŻ:
Câest intĂ©ressant parce que ça rappelle que le concept de subvention est Ă la fois celui de lâaide et celui du pouvoir. Cette personne rappelle aussi que Canal+ a investi prĂšs dâun million dâeuros, et ajouteâŻ:
Mais si ce film a rĂ©ussi Ă valider toutes les Ă©tapes de la production et de la distribution dans ce systĂšme, on ne peut pas pour autant se servir de ce film pour affirmer quâil nây aurait donc pas dâopposition ni de difficultĂ© systĂ©mique. Il sâagit dâun biais de sĂ©lection quâon appelle le «âŻbiais du survivantâŻÂ».
Je donne un exemple de ce quâest le biais du survivant. Quand le 3 janvier 1943 un bombardier amĂ©ricain est abattu Ă 6000 mĂštres dâaltitude, un des membres dâĂ©quipage est Ă©jectĂ© des restes de lâavion mais son parachute a Ă©tĂ© dĂ©truit dans lâattaque. Il tombe de 6000 mĂštres sans parachute et aterrit prĂ©cisĂ©ment sur la verriĂšre de toit de la gare de Saint Nazaire quâil brise avant de toucher le sol. BlessĂ©, il survit. Eh bien voyez on ne peut pas tirer de ce cas particulier une rĂšgle gĂ©nĂ©rale. Pourtant les lois physiques qui lui ont permis de survivre sont exactement les mĂȘmes qui vous tueront si vous essayez de faire de mĂȘme. Sa survie est parfaitement intĂ©grĂ©e au systĂšme. Mais si vous vous tentez lâexercice et que vous mourez, votre mort sera parfaitement intĂ©grĂ©e au systĂšme. Si ce film est un premier film, oĂč sont les autresâŻ? Eh bien lâabsence de tous les autres est autant intĂ©grĂ©e au systĂšme que ne lâest lâexistence de ce film.
Il y a tout un ensemble de facteurs, un agencement de conditions qui se sont rĂ©unies au bon moment au bon endroit pour que, cet homme survive dâune chute de 6000 mĂštres, et pour que ce film sorte au cinĂ©ma. Supposer que cette survie serait une gĂ©nĂ©ralitĂ©, câest une faille dans le raisonnement.
Le fait que le film Vaincre ou Mourir a Ă©tĂ© financĂ© par le CNC et produit par StudioCanal nâest pas suffisant pour affirmer que ce genre de film en France sâinscrit parfaitement dans le systĂšme de production.
Au contraire, le constat quâil faille cet agencement de conditions particuliĂšres pour que ce film existe, argumente en faveur du caractĂšre exceptionnel de son avĂšnement. Ăa peut donc servir dâargument pour soutenir lâidĂ©e contraire que lâenvironnement ne lui serait pas favorable de maniĂšre gĂ©nĂ©rale. Parce quâil y a une confusion entre le fait que quelque chose soit parfaitement intĂ©grĂ©e Ă son environnement et le fait que lâenvironnement lui soit favorable de maniĂšre gĂ©nĂ©rale. Il est possible que lâintĂ©gration parfaite de quelque chose Ă son environnement, ce soit la mort en gĂ©nĂ©ral, et lâĂ©ventualitĂ© dâune survivance exceptionnelle.
Le film Vaincre ou mourir est produit par le Puy du fou, et si Vaincre ou Mourir en est le premier, le Puy du Fou a plus de trente ans dâexpĂ©rience dans la reprĂ©sentation de loisirs inspirĂ©s de sujets historiques. Le directeur du Puy du Fou Nicolas de Villiers est de la famille de Philippe de Villiers, ancien SecrĂ©taire dâĂtat Ă la Culture sous François Mitterrand et ancien PrĂ©sident du Conseil GĂ©nĂ©ral de la VendĂ©e dont il a eu la fonction pendant plus de 20 ans. On peut donc comprendre quâeffectivement le Puy du Fou avait le rĂ©seau suffisant pour que le Conseil GĂ©nĂ©ral de la VendĂ©e puisse faire attribuer une subvention du CNC pour produire ce film. Certains dĂ©tracteurs relĂšvent aussi que la participation en production de StudioCanal en pointant du doigt le fait que le groupe Canal+ est dĂ©sormais partie du groupe Vivendi, contrĂŽlĂ© majoritairement par Vincent BollorĂ© dont ces mĂȘms dĂ©tracteurs prĂ©cisent quâil serait catholique. Ăa commence Ă faire beaucoup Ă devoir mettre dans la balance pour permettre lâexistence dâun film quand mĂȘme. Un environnement favorable nâen demanderait pas autant.
De plus, si la critique identifie une certaine inexpĂ©rience dans la production de ce film malgrĂ© de tels soutiens, ça nâargumente pas en faveur dâune existence ordinaire, et ça commence mĂȘme Ă remettre en cause lâidĂ©e dâune parfaite intĂ©gration dans lâenvironnement. Car autrement des collaborateurs plus expĂ©rimentĂ©s auraient pu ĂȘtre impliquĂ©s. On ne peut pas Ă la fois qualifier le rĂ©sultat de tĂ©lĂ©film comme certains lâont fait, invoquer les soutiens extra-ordinaires quâil a reçu dans son dĂ©veloppement, et en mĂȘme temps, affirmer quâil serait le fruit parfaitement intĂ©grĂ© de son environnement. En fait il faut choisir. Parce que si on affirme que ça ressemble un tĂ©lĂ©film, alors ça suppose que lâindustrie pour produire ce genre de film en est encore Ă lâĂ©tape du balbutiement.
Si, pour pouvoir produire sur le sujet particulier de Charette ou des guerres de VendĂ©e ce qui ne serait encore quâun premier film avec des dĂ©fauts, il faut racheter CanalâŻ? La marche est haute quand mĂȘme.
En plus on parle de cinĂ©ma alors, racheter Canal et avoir le Conseil GĂ©nĂ©ral dans sa poche, ce ne sont pas des compĂ©tences de rĂ©alisation. Donc si le film serait intĂ©grĂ© favorablement dans son environnement de production, le rĂ©sultat serait peut-ĂȘtre diffĂ©rent.
Quand Daniel Rabourdin a rĂ©alisĂ© son docufiction La RĂ©bellion cachĂ©e sorti en 2017 sur le sujet des guerres de vendĂ©e, il a pu lui aussi faire participer Reynald SĂ©cher comme lâa fait Vaincre ou Mourir. Dans le gĂ©nĂ©rique de son docufiction on voit citer comme consultant Hubert de Torcy, le prĂ©sident de Saje Distribution qui est justement la sociĂ©tĂ© qui distribue Vaincre ou Mourir, et qui distribue aussi La RĂ©bellion cachĂ©e. Mais avec ce rĂ©seau pour faire un film sur le mĂȘme sujet, Daniel Rabourdin nâa pas rĂ©unit ces soutiens-lĂ , ni les financements quâa reçu Vaincre ou Mourir.
Ce qui sâest passĂ© avec Vaincre ou Mourir est une exception. Peut-ĂȘtre est-ce le signe que cela devient plus facile, mais ça, on ne le sait pas encore. Il faut transformer lâessai pour le vĂ©rifier. Aujourdâhui câest une exception, le film «âŻvaincre ou mourirâŻÂ» est un survivant. Sera-t-il le pĂšre dâune lignĂ©e, on ne le sait pas encore.
Pourquoi Saje distribution�
Un point qui a Ă©tĂ© relevĂ© par plusieurs personnes ou mĂ©dia, y compris lâanimateur dâIntercut, câest que ce film serait distribuĂ© par, (6+) «âŻune obscure sociĂ©tĂ© de distrib, qui sâappelle Saje production, qui nâont juste jamais sorti de film Ă grande ampleur, jamais, et qui est spĂ©cialisĂ©e dans le film de cinĂ©ma chrĂ©tienâŻÂ». Mais justement parlons-en, comment se fait-il que la distribution dâun tel film se fasse par une sociĂ©tĂ© confidentielleâŻ? Parce que si ce film Ă©tait favorablement intĂ©grĂ© au systĂšme de financement, de production et de distribution cinĂ©matographique, pourquoi ce serait Saje qui distribue le film et pas une entreprise qui aurait plus dâexpĂ©rience et de galonsâŻ? Ou bien pourquoi Saje est-elle encore confidentielleâŻ?
Dâailleurs pourquoi ce nâest pas Studio Canal qui distribue Vaincre ou Mourir, câest une vraie question jâaimerai bien savoir, parce quâils participent dĂ©jĂ au film Vaincre ou Mourir, et Studio Canal est par exemple la sociĂ©tĂ© de distribution de Reste un peu de Gad Elmaleh, qui traite dĂ©jĂ dâun sujet de foi, mĂȘme si ça reste une comĂ©die.
On ne peut pas Ă la fois vouloir expliquer que ce film serait confidentiel Ă cause du fait que sa sociĂ©tĂ© de distribution serait confidentielle, et en mĂȘme temps affirmer que ce film serait parfaitement intĂ©grĂ© au systĂšme dans lequel il est produit, parce que dans ce cas-lĂ , soit le Puy du fou aurait choisi une autre sociĂ©tĂ© de distribution que Saje, soit Saje serait un pilier incontournable de la distribution de film en France, et câest Saje qui aurait distribuĂ© Reste un peuâŠ
Saje a commencĂ© Ă distribuer des films en 2012 et sâest notamment fait connaĂźtre en 2014 en important le film Cristeros. Câest important quâon aborde ce sujet parce quâil y a une certaine similitude avec ce qui se passe avec Vaincre ou Mourir.
Le film Cristeros est un film produit au Mexique avec un budget Ă faire pĂąlir de jalousie celui de Vaincre ou MourirâŻ: 12 millions de dollars, câest trois fois plus que Vaincre ou Mourir. Il a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© par Dean Wright qui est connu pour son travail sur les effets spĂ©ciaux de Titanic, Le Seigneur des anneaux ou Le Monde de Narnia, et le film prĂ©sente un casting que ne pouvait se payer Vaincre ou Mourir, entre Peter O'Toole, Andy GarcĂa ou Eva Longoria. Cristeros est beaucoup plus intĂ©grĂ© dans le paysage du cinĂ©ma dâoutre atlantique que ne lâest Vaincre ou Mourir dans le paysage du cinĂ©ma français. Ce qui rapproche Vaincre ou Mourir et Cristeros câest que le sujet de Cristeros est celui de la persĂ©cution anti-catholique au Mexique au dĂ©but du XXe siĂšcle. Le conflit se transforme en conflit armĂ© suivi dâune Ă©puration. En 1935, 17 Ă©tats du Mexique ne comptent plus un seul religieux sur leurs sols.
En 2014 on aurait pu dire⊠franchement, pour distribuer Cristeros, faire appel Ă une sociĂ©tĂ© de distribution inconnue qui existe depuis un an et demi, est-ce quâon a pas un rĂ©seau de distribution existant en faitâŻ? Ben il faut croire que non.
En 2023, presque dix ans aprĂšs, pour distribuer Vaincre ou Mourir câest toujours Saje qui sây colle en fait. Heureusement quâils sont lĂ . Je ne vois pas le personnage de Charette ni le sujet des guerres de VendĂ©e dans le catalogue de films produits et distribuĂ©s par EuropaCorp. Quâest-ce qui les empĂȘcheâŻ? La matiĂšre est lĂ pourtantâŻ! On ne peut pas vraiment prĂ©tendre que Vaincre ou Mourir serait parfaitement intĂ©grĂ© au systĂšme et en mĂȘme temps sâĂ©tonner quâil soit distribuĂ© par Saje.
En 2004 dĂ©jĂ , il y a presque 20 ans, il nâa pas Ă©tĂ© facile dâimporter et distribuer en France le film La Passion du Christ de Mel Gibson. CâĂ©tait le Tunisien Tarak Ben Ammar qui avait pris en charge la distribution en France.
Il y a un point supplĂ©mentaire sur lequel on peut comparer Vaincre ou Mourir et Cristeros, câest le fait que dans certains endroits, des gens ont organisĂ© les sĂ©ances eux-mĂȘmes pour quâils puissent voir ce film. Câest-Ă -dire quâil y a des gens qui ont nĂ©gociĂ© avec un cinĂ©ma la projection du film quâils veulent voir, et ont fait eux-mĂȘmes la prĂ©vente de la sĂ©ance avec leur propre rĂ©seau, ça peut ĂȘtre par exemple une paroisse. Ăa nous dit quâil y a un besoin de ce genre de film qui nâest pas satisfait. Il y a un besoin de production et un besoin de distribution qui ne sont pas satisfaits, et lĂ ce nâest pas la faute de Saje parce que justement Saje permet Ă ces initiatives de rĂ©aliser cette distribution, en Ă©tant des acteurs locaux. En fait Saje a certainement beaucoup plus dâexpĂ©rience et un meilleur rĂ©seau que StudioCanal quand il sâagit de rĂ©pondre Ă un besoin oĂč ce sont les initiatives locales qui font venir le film chez eux, quand câest ton voisin qui te prĂ©vent ta place de cinĂ©ma pour un film dont il a organisĂ© la projection dans le cinĂ©ma de ton quartier.
Ă la fin de la projection du film Cristeros des gens ont applaudi, et il y a eu de nombreux tĂ©moignages de personnes disant la mĂȘme chose du film Vaincre ou Mourir. Câest un fait qui est rapportĂ© de lieux et de personnes diffĂ©rentes. Alors certainement que parmi ces personnes il y avait des gens bienveillants, acquis Ă certaines causes, partisans peut-ĂȘtre, mais ce sont des gens dont le besoin nâest ordinairement pas satisfait.
Ces films-lĂ rĂ©pondent Ă des besoins, il est juste que ces besoins soient satisfaits, il est juste que ce genre de film soit rĂ©alisĂ© plus souvent. Si certains sont critiques Ă lâĂ©gard de Vaincre ou Mourir parce quâils ne le trouvent pas assez bon, la rĂ©ponse Ă ce constat devrait ĂȘtre simpleâŻ: jâespĂšre quâil y aura mieux alors⊠Parce que maintenant, jâattends lâĂ©pisode dâIntercut «âŻCes films comme Vaincre ou mourir⊠en mieuxâŻ!âŻÂ». Et il y a une condition, câest que ça doit ĂȘtre une production française sur une histoire française puisque lâhypothĂšse de base [*de dĂ©part] Ă©tait que ce film serait parfaitement intĂ©grĂ© Ă son environnement de production. Ces films comme Vaincre ou mourir, en mieux, sâils existent, donnez-les-moiâŠ
Le souvenir dâune souffrance rĂ©elle
Un point qui me tient Ă cĆur, câest la pudeur et la dĂ©licatesse que jâai retrouvĂ©e dans ce film. Câest Ă©tonnant parce que je nâai vu personne en parler, ou alors ça Ă©tĂ© dĂ©noncĂ© de maniĂšre indirecte.
La question de la pudeur et de la dĂ©licatesse est importante parce que ce film aborde des faits qui ont Ă©tĂ© vĂ©cus par une population qui en a encore aujourdâhui la mĂ©moire.
Dans mon travail il mâest arrivĂ© dâapporter mon savoir faire technique dans la captation et la diffusion dâĂ©vĂ©nements traitant par exemple du devoir de mĂ©moire au sujet des dĂ©portations nazies. La question de la mĂ©moire est importante pour bien dâautres drames aussi, que ce soit par exemple le gĂ©nocide armĂ©nien ou ce quâa subi en France la population vendĂ©enne, pour ne citer quâeux. Et on sait que selon les parties, câest plus ou moins facile de traiter ces sujets.
Quelquâun qui serait un peu attentif Ă notre hĂ©ritage culturel français, rĂ©gional, va entendre des bribes de ces histoires. Le groupe Tri Yann a fait redĂ©couvrir au grand public dans son album La dĂ©couverte ou lâignorance de 1976 la chanson en langue bretonne La levĂ©e des 300 000 hommes (Galvadeg en tri kant mil soudard) De trĂšs nombreuses personnes connaissent cette chanson aujourdâhui, car lâalbum est disque dâor. Mais plutĂŽt que de vous avoir fait Ă©couter le version de Tri Yann, je vous ai fait Ă©couter une interprĂ©tation plus confidentielle, chantĂ©e par la chorale Dugelez Breiz. Câest une chanson bretonne. En français lâextrait que jâai choisi dit «âŻOn avait demandĂ© Quatorze de Langonnet, Quatres autres de Brezel, Et sept du FaouetâŻÂ». Cette chanson parle de la levĂ©e des 300âŻ000 hommes en Bretagne, quand le nouvel Ătat rĂ©volutionnaire Ă Paris dĂ©cide de conscrire des hommes pour faire la guerre pour la dĂ©mocratie avec ses canons. Cette chanson exprime la tristesse de ces villages qui voient leurs hommes partir au combat dans une guerre qui ne les concerne pas, une guerre qui est dâailleurs consĂ©quence de la rĂ©volution. Celui qui a habitĂ© Ă cĂŽtĂ© du Faouet, quand il entend cette chanson, elle lui parle personnellement.
Câest cette mĂȘme levĂ©e des 300âŻ000 hommes, cette fois-ci en VendĂ©e, que lâon voit au dĂ©but du film Vaincre ou Mourir. Au refus suit la rĂ©volte. Ă la rĂ©volte suit de violentes reprĂ©sailles. La population a vĂ©cu ces choses et sâen souvient. Dans le film est Ă©voquĂ©e la guillotine, mais aussi les noyades de Nantes, et toutes sortes de crimes Ă lâĂ©gard de la population. Le souvenir de ces choses est une mĂ©moire vivante. Câest un des effets du traumatisme de se souvenir du drame. Et ce souvenir nâest pas mauvais en soi, il fait partie du vĂ©cu, il fait partie du deuil lui-mĂȘme. La cicatrice fait partie de lâhomme qui survit. Celui qui voudrait faire taire ce souvenir ajouterait du drame au drame en ajoutant du dĂ©ni Ă lâobjet du deuil. Ce silence, ce dĂ©ni serait une insulte supplĂ©mentaire. La mĂ©moire participe Ă une construction civilisationnelle. Celui qui a vĂ©cu en VendĂ©e connaĂźt les noms des lieux qui sont Ă©voquĂ©s dans les histoires de ces guerres de VendĂ©e. La VendĂ©e fait partie de la vie des hommes qui y vivent ou y ont vĂ©cu, et lâhistoire de la VendĂ©e parle Ă ces hommes.
Il existe toute sortes de chansons populaires autour des guerres de VendĂ©e ou de la ChouannerieâŻ: des chants de marche, Ă chanter sur la route, des chants de veillĂ©e, Ă chanter au coin dâun feu, dans une expĂ©rience installĂ©e dans le territoire, dans la mĂ©moire, et dans un peuple. Dans la chanson «âŻles bleus sont lĂ âŻÂ» on chante «âŻLes bleus sont lĂ , le canon gronde, dites les gars avez-vous peur, vos corps seront jetĂ©s Ă l'onde, vos noms vouĂ©s au dĂ©shonneurâŻÂ». Quand Ăcran Large affiche «âŻVaincre ou VomirâŻÂ», les gens qui ont Ă©crit cela actualisent 230 ans aprĂšs cette volontĂ© de vouer au dĂ©shonneur les noms de ces gens. La chanson continue «âŻles bleus chez vous dansant la ronde boiront le sang de votre cĆurâŻÂ». Il y a quelque chose de violent dans cette expression du souvenir, mais ce serait ajouter de la violence Ă la violence que de lui prĂ©fĂ©rer le dĂ©ni. PrĂ©fĂ©rer le dĂ©ni, ce serait ĂȘtre complice de la volontĂ© dâanĂ©antissement.
Quand dans Ăcran Large Antoine Desrues Ă©crit «âŻĂ la vue de Vaincre ou mourir, on espĂ©rerait presque que lâenfer existe rĂ©ellement pour y voir ses responsables prosĂ©lytes et rĂ©actionnaires y brĂ»ler avec dĂ©lectationâŻÂ», je me dis mais, oui en fait, ce quâil dĂ©crit lĂ , câest le concept de base de ce que lâon a appelĂ© en VendĂ©e la colonne infernale, oĂč les villages ont Ă©tĂ© incendiĂ©s, et oĂč les gens ont Ă©tĂ© littĂ©ralement jetĂ©s au four, au feu, pour y voir avec dĂ©lectation y brĂ»ler ces dits prosĂ©lytes et rĂ©actionnaires.
Le massacre des Lucs-sur-Boulogne a fait entre 500 et 590 victimes, y compris de trĂšs nombreuses victimes civiles. Le 28 fĂ©vrier 1794, 110 enfants ĂągĂ©s dâun mois [* de 15 jours] Ă sept ans sont massacrĂ©s dans lâĂ©glise du Petit-Luc. Certains des acteurs de ce massacre se seraient vantĂ©s dâavoir Ă©liminĂ© des «âŻgrenouilles de bĂ©nitier accrochĂ©es Ă leurs reliquesâŻÂ», ce qui ajoute au meurtre de masse et Ă lâhorreur de ce massacre dâenfant la dimension intentionnelle dâune persĂ©cution relative Ă la foi et donc Ă la coutume de la population visĂ©e. En fait on connaĂźt le prĂ©nom, le nom et lâĂąge de chacun de ces enfants. Ce nâest pas un souvenir lointain, anonyme. Certaines personnes en lisant la liste retrouverons leur propre nom, et ont peut-ĂȘtre dans leur famille, un cousin, une cousine qui font partie de ces enfants assassinĂ©s Ă un Ăąge entre un mois et sept ans par des soldats de lâarmĂ©e française.
La pudeur du réel
Jâavais de lâapprĂ©hension avant de voir Vaincre ou Mourir, mais jâai Ă©tĂ© agrĂ©ablement surpris de ne jamais ressentir de malaise, pas par rapport aux Ă©vĂ©nements du film mais par rapport Ă sa rĂ©alisation. En particulier, rien ne mâa arrachĂ© Ă lâimmersion, rien ne mâen a fait dĂ©crocher. Et ça, je pense que câest digne dâĂȘtre relevĂ©. Vaincre ou mourir a trouvĂ© la pudeur nĂ©cessaire pour traiter dâun sujet historique de mon pays, dont les personnages sont de mon pays, ont vĂ©cu des Ă©vĂ©nements rĂ©els, sur une terre Ă laquelle je peux me rattacher.
Avant de voir ce film je nâavais jamais assistĂ© Ă une quelconque production du Puy du Fou. Je ne suis jamais allĂ© au parc et nâai jamais vu un seul de leurs spectacles. Donc ce film est le premier contact que jâai eu avec ce quâils produisent. Je nâavais pas dâa priori sur le film, si ce nâest que, parce que câest un premier film et un petit budget jâĂ©tais prĂȘt au cas oĂč le rĂ©sultat me dĂ©plairait. Je connaissais par contre dĂ©jĂ le sujet du film mais ça, ça a tendance Ă me rendre plus critique et moins indulgent.
Parce que je connais un peu le sujet, certains pourraient me dire, mais Thomas, ne serais-tu pas dĂ©jĂ convaincuâŻ? Si tu nous dis que tu as aimĂ© ce film, ne serait-ce pas parce quâil raconte une histoire pour laquelle tu aurais une affection prĂ©alableâŻ? Ben en fait non, il est plus difficile Ă un film de me plaire quand il touche Ă des Ă©lĂ©ments de mon identitĂ©, de mon pays, de ma langue ou de ma culture. Parce que je suis plus exigeant, parce que je suis beaucoup plus Ă vif.
Quand un film met en scĂšne des personnages, une histoire, un caractĂšre bien français, il arrive souvent que ce film provoque en moi un malaise. La source de ce malaise, câest une pudeur. Voyez, un peu comme si quelquâun me montrait du doigt. Parce que ces sujets me sont proches, je suis plus sensible et plus critique. Et Vaincre ou Mourir a rĂ©ussi Ă faire ce quâĂ©normĂ©ment de films français Ă©chouent.
Je donne deux exemples bien connus du cinĂ©ma Français. Le film AstĂ©rix et ObĂ©lix contre CĂ©sar de Claude Zidi, sorti en 1999, il mâavait causĂ© un malaise tout au long du film, parce que justement je connais bien AstĂ©rix, et puis je connais bien la langue, je connais bien lâhumour dâAstĂ©rix, je connais le caractĂšre français, certains diraient franchouillard, de ces personnages, Ă la fois dans la BD et dans le film. Quand je regarde le film, jâai lâimpression que quelquâun me regarde et me dit, câest ça lâhumour de ton paysâŻ? Câest gĂȘnant en fait. Mon second exemple, câest Le fabuleux destin dâAmĂ©lie Poulain de Jean-Pierre Jeunet sorti en 2001. Ce film exagĂšre tout, les personnages, les dĂ©cors, lâenvironnement, et reprĂ©sente un Paris de carte postale, non pas celui qui existe en vrai, mais celui quâon imagine, dans lâintimitĂ© de son imaginaire. Et voyez, jâai posĂ© le mot dâintimitĂ©. Câest un peu comme si quelquâun racontait un de vos rĂšves Ă votre place. Le film me suggĂšre quelque chose Ă lâintĂ©rieur de moi puis dit publiquement Ă lâĂ©cran ce quâil mâa suggĂ©rĂ©, ce faisant il viole mon fort interne. Ăa produit un malaise. Et puis dans ces deux films il y a ce sentiment que, ce nâest pas vrai, câest pas possible en fait, ça en fait trop, et ça ça me fait dĂ©crocher du film. Certaines emphases un peu trop appuyĂ©es mâarrachent Ă lâimmersion du film.
Je nâai pas trouvĂ© cela dans Vaincre ou Mourir. Jâai donc Ă©tĂ© respectĂ© par le film et son rĂ©alisateur. Et certains diront que la voix off est peut-ĂȘtre trop prĂ©sente, que le film pourrait plus montrer que dire, peut-ĂȘtre, mais au moins le film ne fait pas cette erreur trĂšs gĂȘnante de suggĂ©rer un ressenti puis de dire tout haut ou de montrer bien grassement ce que le spectateur a ressenti dans lâintimitĂ© de son affect et de son imaginaire.
Trop souvent dans un film français il y a un moment oĂč je ne peux mâempĂȘcher de voir desFrançais qui jouent des Français et qui se regardent jouer des Français qui seront regardĂ©s par des Français, et voir lâacteur se sentir obligĂ© de trahir quâil est un acteur, qui a honte de lui-mĂȘme, et qui a besoin dâexprimer un peu de distance avec ce quâil fait parce quâil nâassume pas, et oĂč mĂȘme le sĂ©rieux devient comĂ©die aux dĂ©pens du Français. Je ne supporte pas cet espĂšce de message que les acteurs envoient trop souvent au visage du spectateur, «âŻne me prends pas trop au sĂ©rieux dans mon jeux parce que je nâai rien Ă voir avec çaâŻÂ». Vaincre ou mourir ne fait pas ça. Il y a une diffĂ©rence entre agir français dans son jeu et jouer un français, et dans le film ils ont agi français.
Certains rĂ©alisateurs y arrivent et parfois nây arrivent pas, Luc Besson ne tombe pas dans ce piĂšge quand il rĂ©alise Nikita, par contre il tombe Ă fond dans ce piĂšge et câest insupportable, quand il rĂ©alise Lucy, avec les personnages des policiers français. JâespĂšre donc que ce nâest pas une exception chez Puy du Fou Films et que leurs prochains films continueront dans cette mĂȘme dynamique, sans faire cette erreur.
Vaincre ou mourir touche Ă des faits rĂ©els et Ă lâimaginaire que lâon construit au contact de ces faits rĂ©els pour internaliser la connaissance, et Ă aucun moment le film ne mâa manquĂ© de la dĂ©licatesse nĂ©cessaire.
Le traitement de la violence et le traitement de lâhistoire
En parlant de pudeur, le film Vaincre ou Mourir est Ă©conome dans la violence graphique quâil prĂ©sente Ă lâĂ©cran. Il peut y avoir beaucoup de raisons Ă cela. Beaucoup ont dit que cela rĂ©vĂ©lait Ă leurs yeux un manque de moyens, ce qui est bien possible Ă©tant donnĂ© le budget de ce film.
Une deuxiĂšme raison pourrait ĂȘtre la volontĂ© de conserver un large public. Ăa se dĂ©fend, et ça peut ĂȘtre critiquable, parfaitement. Par exemple dans un tout autre genre, certains considĂšrent que le fait de se limiter dans la violence pour ne pas restreindre lâaudience est une des raisons qui conduisent les derniers films de la franchise Terminator Ă ne pas se permettre dâĂȘtre un film Terminator et donc de ne pas pouvoir satisfaire son cĆur de cible. Mais si le cahier des charges demande que le film soit tout public, et quâon nâest pas dâaccord avec ça, câest le cahier des charges quâil faut critiquer.
Il y a une troisiĂšme raison qui peut motiver Ă limiter la reprĂ©sentation de la violence, de recourir plus Ă la suggestion et Ă user dâellipses, câest que le film relate une histoire vraie, avec des spectateurs qui peuvent sâidentifier aux personnages par des attachements familiaux ou territoriaux rĂ©els, et avec, câest trĂšs important, la particularitĂ© que ce film raconte lâhistoire du vaincu.
Parce que si le film sâintitule Vaincre ou Mourir, le personnage Ă la fin il est vaincu et il meurt, et ce nâest pas une fiction.
Cette façon de faire des ellipses et de montrer certains tableaux, presque statiques, ou lointains, me font Ă©normĂ©ment penser au film Le tombeau des lucioles dâIsao Takahata. Le tombeau des lucioles est un film japonais racontant comment deux enfants japonais vivent les bombardements amĂ©ricains et lâimpact que ça a sur leur vie. Ils sont les vaincus de lâhistoire, et ils meurent Ă la fin. Quand Isaho Takahata nous montre les corps des victimes de bombardements, il nous les pose simplement, comme le fait le film Vaincre ou Mourir. On ne voit pas les gens mourir, on voit les gens morts.
Parfois les films jouent sur les deux plans. Dans le film The Patriot avec Mel Gibson, certains combats sont explicites, on voit par exemple un boulet de canon qui arrache la jambe dâun soldat, au premier plan. Par contre quand Anne qui vient dâĂ©pouser Gabriel est enfermĂ©e avec le village dans lâĂ©glise paroissiale et que lâĂ©glise est incendiĂ©e, le film ne nous montre pas cette mort et fait une ellipse. On comprend la mort quand son beau-pĂšre Benjamin ramasse dans les cendres le collier quâelle portait. Cette diffĂ©rence de traitement est alignĂ©e sur la proximitĂ© que le spectateur peut affectivement dĂ©velopper avec les personnages.
Dans le film Elle sâappelait Sarah sorti en 2010 sur le sujet de la rafle du Vel dâHiv', quand Sarah rouvre le placard, on ne nous montre pas le contenu du placard. Ce nâest pas nĂ©cessaire, et ce nâest pas utile. On nâen a pas besoin pour comprendre ce qui se passe, et on nâa pas besoin de sâinfliger ce spectacle.
Et en fait savoir faire une ellipse, le faire bien, ça demande un certains talent. Et si jâai vu beaucoup de monde critiquer le fait que le film recourt Ă©normĂ©ment Ă lâellipse, je nâai vu personne dire que ces ellipses Ă©taient mal faites. Et puisque certains sont déçus que ce film raconte plus quâil ne montre, je rappelle que parfois, une bonne ellipse, demande plus de talent que de montrer, et parfois une bonne suggestion provoque plus dâeffets que le simple montrer. Le bruit dâune patte griffue derriĂšre la porte peut ĂȘtre plus inquiĂ©tant que la vue de cette patte griffue.
Et autant certains films mĂ©langeront lâexplicite et lâimplicite, dâautres films comme Le tombeau des lucioles et Vaincre ou mourir font le choix de lâimplicite et de la pudeur sur toute la ligne. Ces deux films prĂ©sentent lâhistoire racontĂ©e par le vaincu, et lâhistoire va ĂȘtre entendue par la population mĂȘme qui a la mĂ©moire douloureuse de ces Ă©vĂ©nements.
Si parfois le manque de moyen a pu encourager ces ellipses, je rappelle quâun film nâest pas toujours Ă 100% un divertissement. Câest prĂ©cisĂ©ment ce qui se passe avec Le tombeau des lucioles et Vaincre ou mourir. Quand bien mĂȘme il y aurait une cause matĂ©rielle Ă lâabsence dâexplicite, celui qui rĂ©clame plus dâexplicite rĂ©vĂšle peut-ĂȘtre quâil nâa pas tout Ă fait compris lâobjet du film. Parce que ce nâest pas uniquement un film de costume, de mousquet et dâĂ©pĂ©e.
On ne peut pas rĂ©clamer de tous les films dâĂȘtre Ă 100% un divertissement et on ne peut prĂ©tendre que le spectateur est nĂ©cessairement dĂ©tachĂ© de la violence qui y serait reprĂ©sentĂ©e. Je reprends cette comparaison, mais quand on va voir le Tombeau des lucioles, est-ce que ces gens nous disent que lâon est censĂ© «âŻvouloir vivre impĂ©rativement dans le dĂ©ni en dĂ©politisant le film et vouloir se vider le crĂąne devant un film Ă grand spectacleâŻÂ». Câest ça leur seul horizon du cinĂ©ma en faitâŻ? Est-ce que lorsquâHayao Miyazaki a rĂ©alisĂ© le film Le vent se lĂšve oĂč il nous raconte lâhistoire dâun concepteur dâavion de guerre Japonais dans une guerre que le Japon Ă perdu, est-ce quâils nous disent que pour regarder cet autre film, il faut «âŻvouloir vivre impĂ©rativement dans le dĂ©ni en dĂ©politisant le film et vouloir se vider le crĂąne devant un film Ă grand spectacleâŻÂ»âŻ?
Câest un argumentaire ad-hoc qui ne souffre pas la comparaison une fois confrontĂ© Ă un pĂ©rimĂštre plus large que ce film, une sorte de carte Joker que certains sortent de leur poche quand ça les arrange. Le CinĂ©ma nâest pas le lieu pour vivre dans le dĂ©ni et se vider le crĂąne. Si câest ça leur besoin, alors oui il vaut peut-ĂȘtre mieux quâils aillent au cinĂ©ma que de se tourner vers certaines substances douteuses. Parce que ce que certains expriment, lĂ , dans certains mĂ©dias, câest leur comportement de junkie qui fuient le rĂ©el dans une consommation de drogue et qui se plaignent que la dose nâest pas assez forte, quâelle arrache pas assez, et pire encore, quâils sont encore lucides avec ça. Et ça, pour eux, câest un Ă©chec.
Celui qui regarderait le Tombeau des lucioles en se disant «âŻon va voir un film de guerre, ça va ĂȘtre lâĂ©clateâŻÂ», il va complĂštement passer Ă cĂŽtĂ© du film, son expĂ©rience sera complĂštement ratĂ©e, mais ça ne sera pas la faute du film. Si le spectateur pose comme condition quâil ne doit y avoir ni empathie ni compassion ni toute autre forme dâinvestissement affectif, câest le spectateur qui a un problĂšme, pas le film.
Je me souviens dâun film sur Jeanne dâArc qui Ă©tait en deux parties. CâĂ©tait Jeanne La Pucelle de Jacques Rivette sorti en 1994. Il y avait un film intitulĂ© Les Batailles, et un autre intitulĂ© Les Prisons. Peut-ĂȘtre que ça aurait Ă©tĂ© une bonne idĂ©e de faire quelque chose comme ça pour Charette, avec deux atmosphĂšres, une plus glorieuse Ă grand spectacle, et une plus intimiste et plus dans la tragĂ©die. Mais je comprends quâils ne pouvaient pas se permettre cela pour un premier film.
MĂȘme si lâhistoire de Charette est propice Ă reprĂ©senter des combats Ă©piques avec lesquels on pourrait prendre une certaine distance Ă©motionnelle, le film en lui-mĂȘme nâest pas facile pour une certaine population. Ce nâest pas une question de violence graphique. La mĂȘme personne qui pourrait se farcir les trois John Wick dâaffilĂ©e, cette mĂȘme personne se donnera un rĂ©pit de plusieurs jours avant se permettre de regarder Ă nouveau Vaincre ou Mourir. Dans John Wick on a un personnage imaginaire Ă©voluant dans un univers imaginaire et qui trucide des personnages imaginaires. Dans Vaincre ou Mourir avec Charette ce sont nos cousins qui trucident nos cousins dans notre pays. Si la relation du spectateur au film est la mĂȘme dans les deux cas, câest que le spectateur ne prend pas le risque de sortir de sa zone de confort.
La pudeur du rĂ©el est aussi demandĂ©e parce que le sujet est traitĂ© correctement. Voyez si je prends le film Le dernier samouraĂŻ avec Tom Cruise, je nâai pas de doute que les moyens, les acteurs ne sont pas du tout les mĂȘmes, sauf quâil y a un problĂšme fondamentalâŻ: dans le film Le dernier SamouraĂŻ, le personnage principal est prĂ©sentĂ© comme un AmĂ©ricain vĂ©tĂ©ran des guerres indiennes et traumatisĂ© par les massacres des Indiens aux Ătats-Unis, alors que le personnage rĂ©el dont sâinspire lâhistoire est un Français officier sous NapolĂ©on III, ayant vĂ©cu lâexpĂ©dition du Mexique, la guerre franco-prussienne de 1870 et la Commune de Paris. Alors oui il y a une diffĂ©rence. Dans un cas le fait historique nourrit le scĂ©nario dâune autre histoire fictive avec toute la distance que cela met, et dans un autre cas lâhistoire racontĂ©e essaie de reprĂ©senter le fait historique. Lâhistoire elle-mĂȘme a une importance, et Vaincre ou Mourir traite correctement lâhistoire.
Les figurants
Cette part va ĂȘtre purement technique, mais jâai entendu plusieurs fois que ce film manquait de figurant Ă lâĂ©cran. Jâai entendu cela par exemple dans la vidĂ©o de Christopher LannesâŻ:
Alors câest vrai que sur ce point le cinĂ©ma peut nous montrer des choses plus grandioses. Mais lĂ il ne faut pas se tromper de combat, ce nâest pas un manque de figurants, mais un manque dâeffets spĂ©ciaux. On a du mal Ă sâen rendre compte parfois mais Ă©normĂ©ment de choses que lâon voit dĂ©sormais au cinĂ©ma ne sont plus des choses filmĂ©es. Ă commencer par les figurants. Ăa se voyait dĂ©jĂ dans des films comme Forrest Gump, mais câest dĂ©sormais la norme.
Certains films, parfois Ă trĂšs gros budgets, ne se posent mĂȘme plus la question de la crĂ©dibilitĂ© des figurants. Black Adam sorti en 2022, avec 185 millions de dollars de budget, nous met une poignĂ©e de personne pour reprĂ©senter la population dâune ville. Vaincre ou Mourir fait mieux que ça en fait.
Et en parlant de cohĂ©rence, mĂȘme le traitement des dĂ©cors est correct. Si je compare avec John Wick 3 Parabellum, il y a Ă©normĂ©ment de dĂ©cors dans cet autre film qui nâont aucun sens, qui ne peuvent pas ĂȘtre justifiĂ©s physiquement, ne serait-ce quâen se posant la question, qui dans lâunivers, paie pour ça, et pourquoiâŻ? Ce film a eu 75 millions de dollars de budget et prĂ©sente des dĂ©cors qui ne sont justifiĂ©s que par un scĂ©nario de jeu vidĂ©o. Ils font des dĂ©cors qui flattent les yeux mais qui nâont aucun sens. Il est mĂȘme parfois Ă©vident que lâintĂ©rieur du bĂątiment ne tient pas dans les dimensions extĂ©rieures de ce mĂȘme bĂątiment. 75 millions de dollars de budget mais lâintĂ©rieur est plus large que lâextĂ©rieur⊠et ça ne les dĂ©range pasâŻ! Vaincre ou Mourir a des dĂ©cors plus cohĂ©rents que ça en fait, peut-ĂȘtre parce quâils sont rĂ©els, tout simplement.
Alors donc, au sujet des figurants, oui, comparĂ© Ă certaines grosses productions Ă gros moyens on voit moins de gens Ă lâĂ©cran, mais ce sont de vraies personnes que lâon voit, et ça fait du bien de voir ça. En fait Vaincre ou Mourir est un film avec beaucoup de figurants, alors câest peut-ĂȘtre pas assez pour rivaliser avec certaines images complĂštement modĂ©lisĂ©es, mais en fait ça fait du bien de voir des figurants, et jâai envie de dire, tant pis si parce que les figurants sont rĂ©els le film est contraint Ă certains plans. Dâailleurs, est-ce que cette impression de tĂ©lĂ©film que certaines personnes ont ressentie ne viendrait pas en partie du fait que ce sont des vrais gens qui ont jouĂ©, et que donc la camĂ©ra a due ĂȘtre placĂ©e comme on place une camĂ©ra quand on tourne avec de vrais gens dâune part, et dâautre part quâon ne multiplie pas ces gens avec de la modĂ©lisation Ă haut dĂ©bitâŻ?
LâHistoire de France, ce nâest pas sale
Ăa nâaura pas Ă©chappĂ© Ă grand monde, mais vous avez vu cette espĂšce de⊠dĂ©nonciation du flim. En soi la critique dâun film est une opinion, lâopinion sur sa rĂ©alisation, sur son jeu dâacteur, sur la façon dont le film traite du sujet, etc. Mais si lâopinion porte sur le sujet du film, ce nâest plus une critique du film, câest une critique du sujet.
Il y a des gens qui nous expliquent quâil ne faudrait pas voir le film Vaincre ou Mourir. TĂ©lĂ©rama a titrĂ©âŻ:
et en sous-titreâŻ:
Alors, «âŻgros sabotâŻÂ», câest une expression, mais «âŻlunettes de chouanâŻÂ», câest quoi le prochain argumentâŻ? Que câest un film de Bonnet Rouge, ou de Gilet JauneâŻ? Câest ça le niveau argumentatif de TĂ©lĂ©ramaâŻ? LĂ on nâest plus dans la critique de film. La personne qui a Ă©crit cela exprime sa conviction que les films de ce genre ne doivent pas ĂȘtre visionnĂ©s et que ces sujets ne doivent pas ĂȘtre traitĂ©s.
Et puis il y a cette espĂšce de condescendance paternaliste, pardonnez-moi dâemployer ce mot-lĂ , mais on dirait que ce genre de personne aurait peur que ce film corrompe la jeunesse. En fait ils en parlent comme sâils dĂ©fendaient Ă un enfant dâaller voir un film porno.
Et les enfants, ça les préoccupe.
Lâhistorien Guillaume Lancereau interviewĂ© par LibĂ©ration part dans une imprĂ©cation mettant en garde contre une pente glissante qui dĂ©baucherait la population. Il nâhĂ©site pas Ă qualifier dâ «âŻesprit naĂŻfâŻÂ» ceux qui ne sauraient discerner dans ce film ce quâil considĂšre un mal corrupteur. Il dĂ©crit ce film comme nourrissant un vice, et exprime sa crainte que le public goĂ»te Ă ce fruit dĂ©fendu et dĂ©veloppe un habitus dans ce mal. Bon, je vous lâaccorde, il le fait avec le vocabulaire propre Ă sa religion. Mais câest ce quâil exprime.
Jâai envie de leur dire, et sâils mâentendent, ça va les faire hurler, mais lâhistoire dâun peuple chrĂ©tien en France et lâhistoire de ce quâil a vĂ©cu, dans ses victoires et ses dĂ©faites, dans sa gloire et son anĂ©antissement, ce nâest pas sale. Je ne pense pas quâon a besoin dâeux comme clergĂ© douteux avec leurs interdits religieux bien Ă eux, et qui ne font rien de plus que nous expliquer que ce film est Ă leurs yeux une Ćuvre licencieuse, dissolue et dĂ©pravĂ©e.
MoliĂšre se moquait de la pudibonderie de son siĂšcle et du signalement de vertu du personnage quâil nomme Tartuffe, mais quâest-ce quâon rigolerait bien si MoliĂšre nous Ă©crivait aujourdâhui un nouveau Tartuffe avec cette pudibonderie nouvelle et ces vertus de façades, ce nouveau personnage de Tartuffe qui singe bien sa dĂ©votion pour se faire servir pitance dans sa gamelle et sĂ©duire la femelle. En fait, nan, tout compte fait, tout comme MoliĂšre lâa subit en son temps, peut-ĂȘtre cette piĂšce serait dĂ©noncĂ©e par ces mĂȘmes dĂ©vots, si ce nâest interdite. Dans la piĂšce de MoliĂšre, le Tartuffe sâest emparĂ© de la maison, et en a chassĂ© le propriĂ©taire dont il a obtenu les richesses et la confiance par ses tromperies. Tiens tiens tiens⊠Dans la piĂšce de MoliĂšre câest le roi qui rĂ©tablit la justice et qui rend au malheureux ce quâil avait perdu, mais dans cette nouvelle piĂšce de Tartuffe que lâon voit jouĂ©e dans nos mĂ©dias aujourdâhui, le roi Ă©tant mort, câest peut-ĂȘtre bien le Tartuffe qui rĂšgne sur le domaine et qui administre les richesses. Pour voir la fin alternative du Tartuffe, il suffit de lire LibĂ©ration ou TĂ©lĂ©rama.
La Rébellion cachée
Beaucoup ont relevĂ© que le film Vaincre ou mourir Ă©tait un peu le cul entre deux chaises, entre le cinĂ©ma et le documentaire, ce qui sâexplique dâailleurs par lâhistoire de sa production. Si vous avez envie dâapprofondir le sujet, et cette fois-ci câest vraiment un documentaire que je propose, vous pouvez regarder le documentaire de Daniel Rabourdin, la RĂ©bellion cachĂ©e. Si vous ĂȘtes intĂ©ressĂ©s par le sujet des guerres de VendĂ©e, je vous mets le lien en description.
Et nâoubliez pas de vivre.