Posté par Thomas Debesse le 11/10/2015 à 16:36. Licence CC by (copiez-moi !)
Feodor Vasilyev, Cumulus, étude (détail).
Il faut le dire, moi je ne veux pas la mort de Charlie, tout d’abord parce que parfois, même si c’est très rare il est vrai, parfois il lui arrive d’être pertinent par lui-même, comme pour ce dessin montrant Aylan mort au pied d’une réclame McDonalds, exprimant de manière extrèmement claire la cause de la mort de cette enfant, mort pour une illusion. Malheureusement, pour une fois que Charlie était juste, explicite, et pertinent, il n’a jamais été aussi mal compris, et il a fallu de longues explications pour expliquer le sens du dessin.
Mais donc, s’il arrive parfois à Charlie d’être juste, de manière si rare qu’on ne s’y attend pas, ce n’est pas la raison pour laquelle je ne veux pas la mort de Charlie, ce qui est bien avec Charlie, c’est toute la pertinence qu’il suscite. Et il est vrai que bien souvent, Charlie n’a de pertinent que les réactions qu’il suscite, on le voit particulièrement avec le récent dessin qui croyait humilier quelqu’un en le représentant sous les traits d’un enfant trisomique. L’essentiel est à rechercher dans les réponses, mais surtout, ne taisez pas la cause de ces réponses !
Mauvaise question, bonne réponse
Parfois on a bien besoin de quelqu’un qui n’a pas peur de dire des bêtises afin qu’il sorte une énormité pour avoir l’occasion de mettre les choses au point. Un de mes professeurs disait : celui qui pose une question est bête cinq minutes, celui qui n’en pose jamais reste bête toute sa vie.
Et les professeurs ne peuvent que bénir les élèves qui sortent des énormités, même si c’est parfois à s’en arracher les cheveux, car ils révèlent à quel point que non, ce n’est pas acquis, que oui, il faut encore répéter et re-répéter, et apprendre à toujours reformuler, à se renouveler, à réexpliquer. Bref, dire des bêtises est bénéfique, ça révèle l’urgence de la vérité.
Et pour cela Charlie est extrêmement pertinent, rarement de lui-même, mais pertinent pour les réactions qu’il suscite. Je pars toujours du principe qu’une question qui suscite une réponse pertinente est nécessairement pertinente. D’une certaine manière, une question stupide devient une question pertinente lorsqu’elle suscite une réponse pertinente. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise question, il n’y a que de bonnes ou de mauvaises réponses. Si la réponse est bonne, alors la question était bonne.
Et c’est exactement ce qu’il se passe avec le dessin de Charlie qui voulait humilier Nadine Morano en la dépeignant sous les traits d’une petite fille trisomique. Tout cela a levé une énorme vague d’indignation dont on aurait pu se passer, l’indignation n’étant pas plus constructive que l’insulte, mais surtout, surtout, elle a permis à beaucoup de rappeler combien les personnes porteuses de trisomie étaient des personnes si aimables, si aimantes, si douces, et qu’en prophète qu’elles sont, elles nous révèlent l’essentiel, et comme le montre un article de Paris-Match, ces personnes porteuses de trisomie sont non seulement de grands hommes, mais elles font aussi les grands hommes et l’histoire.
Dans l’affaire Trisomie-Morano-Racisme-Charlie, j’ai trouvé particulièrement pertinents les propos de Jean-Marie Le Méné (président de la Fondation Jérôme Lejeune) lorsqu’il rappelle que « Au lieu de condamner le racisme, Charlie Hebdo le nourrit. Il n’a pas compris la tragédie de la trisomie. Les trisomiques sont discriminés sur la base d’un vieux préjugé raciste. On a longtemps considéré qu’ils étaient le fruit d’une dégénérescence de la race blanche vers la race jaune, d’où le nom de “ mongoliens ” qui leur était donné autrefois ».
Si je ne peux que soutenir Clotilde Noël (auteur du livre « Tombée du nid »), et que je la remercie pour ces paroles « Représenter un bébé trisomique qui crache et qui est méchant, d'où cela sort-il ?? Monsieur Riss vous plaquez vos propres peurs que vous avez de l'enfant différent », je ne trouve pas que l’idée qu’ « aujourd'hui les enfants trisomiques font des défilés de mode, écrivent des poèmes, jouent au théâtre, au cinéma, font du sport de haut niveau ... Et j'en passe ! » soit très utile au débat.
C’est cestes une affirmation vraie, mais qui fait un peu trop le jeu de l’utilitarisme que subissent justement les personnes porteuses de trisomie : la dignité d’un homme ne vient pas de ce qu’il fait des défilés de mode ou fait du sport de haut-niveau. Ces choses-là aident à prendre conscience que ces personnes ont leur place dans la société, mais ces choses là s’arrêtent toujours aux limites d’ « à quoi je sers », et justement, le débat actuel porte sur la dignité, et utilité et dignité ne sont pas liés.
Ainsi comme le dit Vincent Haen : « Reconnais tristement que tu es un handicapé du cœur. […] Oui, il y a un antidote : il suffirait juste qu'un jour, tu te retrouves sans crier gare avec sur tes genoux un enfant porteur de trisomie : il te transpercerait de son regard, lirait jusqu'à ton cœur. Il se pourrait bien que ce cœur asséché se mette alors à battre tellement fort qu'il en saignerait, Charlie. ».
Prophète d’humanité
Mais je crois que le meilleur que j’ai lu est donc cet article de Paris Match, titré « Sa joie, sa ”grâce”, Anne, la fille trisomique de Charles de Gaulle », parce qu’il révèle que les personnes porteuses de trisomie ne sont pas seulement des personnes performantes, top modèle, poètes, actrices ou sportives, mais qu’elles sont précieuses pour leur humanité.
Ainsi l’article relate « L’infinie fragilité de la petite fille a nourri la force du général. », et c’est cela l’essentiel, peu importe qu’Anne n’aie pas été top modèle ni sportive de haut niveau : elle en savait plus sur l’humanité que son père. Ce qu’a appris Charles de Gaulle avec sa fille n’est pas la performance, l’utilité, ni l’économie, mais le dévouement, l’attention, l’écoute, l’affection et les pleurs. Anne a appris à Charles de Gaulle à être père, même si elle ne marchait peut-être pas assez bien pour faire un défilé de mode.
Ainsi l’article continue : « Le chêne est foudroyé. A la fin des funérailles, à Colombey-les-Deux-Églises, De Gaulle est debout devant la tombe, le visage plongé dans ses mains. Le prêtre se souvient de cet instant où l’homme qui avait sauvé l’honneur de la France, le grand soldat qui avait affronté la barbarie nazie n’est plus qu’un père inconsolable : “Je me suis agenouillé pour prononcer une prière. Quand je me suis relevé, il a fait deux pas vers moi et il s’est littéralement effondré sur mon épaule […]”. Quelques instants plus tard, alors que le corps d’Anne vient d’être inhumé, Charles et Yvonne se recueillent devant la tombe de leur fille. Il pose sa main sur le bras de son épouse et lui murmure : “Maintenant, elle est comme les autres.” ».
Voilà, ce qui fait la grandeur d’un homme, ce sont ses pleurs. Un homme n’est pas complètement homme tant qu’il n’a pas pleuré, et peut-être que le Salut de cet homme tient aux larmes qu’il a versé ce jour là, larmes que sa fille lui a appris à verser.
Merci Charlie donc, sans qui personne n’aurait osé rappeler que ce qui fait la grandeur d’un homme, ce sont ses pleurs, et qu’il n’y a pas meilleur sur terre pour apprendre à devenir et homme et père, qu’un enfant porteur de trisomie.
Voici le témoignage dont ont besoin les parents qui se découvrent père et mère d’un tel prophète, savoir que leur enfant pourrait peut-être devenir acteur ou top-modèle n’est pas ce qui les aidera à recevoir leur enfant, non, le meilleur, l’essentiel, le nécessaire, c’est d’entendre que cet enfant leur dise « bonjour papa, bonjour maman, je vais vous apprendre à devenir père, à devenir mère, à découvrir des choses en vous que vous ne soupçonnez même pas, veux tu devenir humain avec moi ? Veux tu que je t’apprenne à te découvrir, à devenir ce que tu es, veux-tu apprendre à aimer », et ça, c’est sûr à 100%.