Posté par Thomas Debesse le 11/05/2013 à 19:52. Licence CC by (copiez-moi !)
Cette nuit j'ai veillé à Paris. J'avais plusieurs rendez-vous, notamment quelques amis SDF avec qui je vais bientôt marcher vers Chartres, heureux de monter la tente ailleurs que sur des pavés. J'avais aussi prévu une ballade nocturne avec un ami. Profitant du pont du 8 mai et de l'Ascension offrant un repos exceptionnel, c'était aussi l'occasion de faire quelques photos de la capitale, de nuit.
Aventure d'une nuit
Vers minuit je quitte un ami pour en retrouver un autre… À une heure du matin, s'approchant d'un bar ouvert tard, mon ami demande une cigarette à une femme en terrasse. Étonnamment, l'homme assis à coté de la femme devient très violent, empêchant la femme de parler comme si elle était complètement irresponsable, s'interposant entre elle et mon ami comme si elle était dépossédée de sa liberté propre. L'homme ne supporte visiblement pas que mon ami s'adresse à la femme comme si elle avait une conscience et une volonté, hausse le ton pour empêcher la femme de parler et invective mon ami.
Alors qu'on dépasse le bar continuant notre chemin, j'entends des insultes fuser derrière-moi. Me retournant je me retrouve face à deux serveurs qui étaient invisibles à l'intérieur du bar lorsque mon ami a demandé sa cigarette, et qui sont sortis précipitamment en terrasse. Ils nous interpellent, rouges de colère. Ils nous insultent. « Sales pédés, cassez-vous ! Pédés ! ». Les clients du bar, complices, s'échauffent avec eux. On sera insulté jusqu'à ce qu'on disparaisse. « Pédés ! »
Le vrai visage de l'homophobie
Cette anecdote amène plusieurs constatations :
- Dans l'affaire, la première victime est une femme, traitée comme une personne ou une chose plus immature qu'un enfant et dont la liberté et la conscience est confisquée. C'est le fait de s'adresser à une femme comme une personne libre et responsable, en court-circuitant l'autorité d'un autre homme, qui a éveillé la colère. En demandant une cigarette, mon ami plaçait cette femme dans une situation où elle avait tout pouvoir de refus (le refus de donner ce qui lui appartient) et le rappel de cette liberté de refus et de sa position de force n'a pas du tout plu à son compagnon.
- L'amitié n'est pas comprise, et est ici inconnue. Une relation entre adultes doit être nécessairement sexuelle pour être discernée et jugée. Deux hommes qui se connaissent et qui marchent dans la rue ensemble sont reconnus nécessairement comme homosexuels. S'il est vrai que je possède une grande affection pour cet homme que je connais depuis sept ans, cela ne fait pas de notre amitié une homosexualité. Dans une situation où toute relation entre adultes consentants, même verbale, est perçu comme sexualisée, peut-être que de la même manière, la demande de cigarette était perçue comme une rivalité sexuelle pour un prédateur, ou la remise en cause de sa dominance sexuelle.
- L'homophobie se manifeste sans tabou, avec la complicité de la foule qui se joint volontiers à la tension de haine et de violence. La violence se dirige envers n'importe qui en fait, dès lors que la situation n'est pas comprise. D'une part l'amitié entre personne de même sexe n'est pas comprise. D'autre part la capacité d'un homme à s'adresser à une femme comme une personne responsable provoque chez un autre homme un sentiment d'indignation et de révolte, atteint dans sa capacité d'asservissement… Quand un homme s'adresse à la femme comme une personne libre, et que la sexualisation de la relation peut être mise en doute… alors l'insulte fuse, très vite : « pédé ! ».
Derrière la haine, l'inconnu
J'ai souvent lu et entendu des accusations d'homophobie concernant La Manif Pour Tous. Pour avoir suivi et photographié sept manifestations nationales et régionales, et de nombreux autres actions en marge de ce mouvement, je peux assurer que je n'y ai jamais rencontré l'homophobie dont j'ai été témoin et victime cette nuit.
Il y a au contraire plusieurs choses que j'ai observé à la fois dans les discours officiels et à la fois dans les témoignages personnels des manifestants :
- La reconnaissance de la liberté de la femme et sa capacité de refus envers l'homme.
- La reconnaissance d'une amitié et d'une affection entre personne de même sexe, la reconnaissance d'une relation vraie et fidèle entre personnes adultes.
- La capacité à aimer et la capacité à établir une relation durable et fidèle sans nécessairement sexualiser le sentiment ni instrumentaliser une sexualisation du sentiment. Et si la sexualité n'est pas nécessaire à la fidélité (toute relation n'étant pas nécessairement sexualisée), elle n'est pas non-plus nécessaire au consentement…
- L'accueil de ce qui nous étonne et de ce que l'on avoue ne pas toujours comprendre.
Toutes ces choses, qui ne sont pas l'homophobie, je les ai constatées et entendues à La Manif Pour Tous, ainsi qu'auprès des Veilleurs.
Cette nuit j'ai expérimenté que l'homophobie se nourrit des mêmes mécanismes qui nourrissent la peur de l'amitié, ou se nourrit encore… de l'incompréhension de la virginité.