Posté par Thomas Debesse le 03/12/2013 à 22:35. Licence CC by (copiez-moi !)
J’avais commencé à rédiger un commentaire sur le padreblog à propos d’un article récent au sujet de la pénalisation de la prostitution. Finalement, vu l’ampleur du commentaire, je le publie ici.
Courte citation du long-métrage « Capitaine Achab » de Philippe Ramos, tous droits réservés, cette illustration n'est pas libre.
Illustration : La prostituée se baignant dans le sang du roi Achab (1 Roi 22, 38).
En fait, avec tout mon respect, je trouve votre article trop facile, notamment le fait de reprendre sans discernement l’analogie maison close vs salle de shoot, de confondre pénalisation et responsabilisation, ou encore d’employer l’expression « graver dans le marbre » à propos de notre système législatif…
Vous déclarez des choses justes, comme par exemple le fait que l’Église ne peut qu’encourager les projets qui vont dans le bon sens quelque soit le gouvernement en place. Certes, je n’aurai pas attendu autre commentaire d’un prêtre. Nous serons d’accord : il ne faut pas se résigner et la prostitution est une violence qui ne devrait plus être qu’un souvenir ou une figure biblique. Cependant, il ne suffit pas d’en être convaincu pour que toute proposition soit solution.
Ensuite vous ajoutez que ce projet de loi est courageux parce qu’il soutient que la prostitution peut et doit être abolie, et que ce n’est pas impossible. Ce qui est certain c’est que la prostitution peut être abolie. Certaines personnes à l’origine de ce projet de loi travaillent réellement à une abolition effective, et je ne peux que reconnaître la valeur de leur engagement. Ce qui n’est pas certain c’est que ce projet de loi travaille véritablement à cette abolition.
En développant votre commentaire, vous faites une comparaison que beaucoup font en ce moment, c’est à dire comparer l’hypothétique encadrement légal de la prostitution et l’hypothétique encadrement légal de la consommation de drogue. Je commencerai par là, car cette comparaison est certainement le lieu commun le plus entendu sur le sujet alors qu’elle n’est pas juste.
L’incapacité à comparer maison close et salle de shoot
Il y a pourtant une distinction fondamentale entre la prostitution et la drogue, la prostitution est une réponse inadaptée à un appétit naturel (la sexualité), la drogue est un besoin superflu, artificiel et auto-suffisant. C’est pourquoi on ne peut pas du tout comparer la maison close à la salle de shoot.
La sexualité est un vaste domaine qui s’étend de la théologie du corps à la prostitution. L’humanité ne peut se passer de sexualité. Puisque la nature de l’homme est blessée il est inévitable que cette sexualité soit mal vécue et que donc des phénomènes comme la prostitution surgissent. L’humanité peut complètement se passer de drogue, il y a une sexualité nécessaire et une sexualité injuste, il n’y a pas de drogue nécessaire. Il n’y a pas d’appétit naturel à l’héroïne, et l’héroïne est à la fois cause du besoin et satisfaction du besoin. Je prend l’exemple de l’héroïne parmi d’autre drogues mais le concept peut être généralisé.
La sexualité peut être belle, ou bien dégradante, ce n’est pas vrai de la drogue. La prostitution est une réponse inadaptée à un appétit naturel et légitime. La drogue est à la fois la cause d’un appétit inadapté à l’homme et (c’est un comble) la réponse adaptée à cet appétit. Aucune comparaison n’est possible.
Enfoncer des portes ouvertes
Je ne suis pas certain qu’il faille se réjouir de cette mascarade. La seule chose que l’on peut retenir (et vous le faites) est ce jugement moral porté sur la prostitution. Par ailleurs, ce jugement moral est étonnant : faut-il être un état socialiste pour avoir le droit de porter un jugement moral sur une pratique sexuelle aujourd’hui ?
Vous reprenez l’idée reçue de la prostitution comme plus vieux métier du monde. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais peu importe. Si le métier de prostituée est presque aussi ancien que celui de sage-femme¹, les conclusions seront les mêmes. La prostitution sait se passer de civilisation, de l’idée même de société et donc de législation. La prostitution se suffit de l’humanité et de sa blessure. La loi ne peut répondre efficacement au problème de la prostitution.
Cette loi n’apporte rien, ce n’est qu’une diversion. C’est une loi qui ne vaut que pour son symbole. Elle n’est là que pour redonner un semblant de légitimité et de grandeur à un gouvernement qui ne peux plus rien faire que discuter du sexe de nos petits anges ou des fesses de ceux qui se marient.
Cette fois-ci, grande nouveauté, le gouvernement prend la parole pour déclarer la bouche enfarinée « la prostitution c’est mal ». Cette loi sera comme la loi d’abrogation de la loi d’interdiction du port du pantalon pour les parisiennes. « Le pantalon ce n’est pas sale ! », « La prostitution c’est dégradant ! ». Cette loi montre surtout que notre société n’a plus aucun pouvoir puis qu’elle ne se résigne plus qu’à enfoncer des portes ouvertes.
L’État n’aime pas la concurrence
Il faut bien être clair : la pénalisation d’un acte n’a rien à voir avec son jugement moral. Il n’y a pas besoin de pénaliser le client de prostitution pour juger que la prostitution est un mal. Je n’apprendrai pas à un prêtre que le péché ne se soucie pas de législation… Ce projet de loi sera tout aussi inefficace que toute tentative de prostitution légale se solde par un échec. L’État n’aime pas la concurrence. L’État n’aime pas la concurrence dans le domaine du jugement moral, l’État n’aime pas la concurrence dans le domaine de la prostitution.
Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette loi n’est qu’une manière parmi d’autres de faire entrer toujours un peu plus la prostitution dans l’appareil législatif. Nous n’avons plus qu’à attendre les exceptions dictées par le droit à disposer de son corps. Celui qui a interdit peut permettre. Celui qui reconnaît la légitimité de celui qui interdit reconnaît sa légitimité à permettre.
Personnellement, je crois que ce gouvernement a perdu depuis longtemps toute légitimité à s’occuper de prostitution, et c’est la dernière personne morale à qui il faudrait remettre les clés de la prostitution.
Prostitution nouvelle génération
Vous faites un dernier parallèle avec les mères porteuses, c’est intéressant. Mais j’irai plus loin. S’offrir les services d’une mère porteuse c’est bien plus que de la prostitution. Il s’agit aussi d’orpheliner un enfant dans l’intention de l’enlever (donc on a affaire à la fois à une prostitution et à un enlèvement de mineur avec préméditation). C’est pourquoi, là encore la comparaison avec la maison close ne tient pas. Cette fois-ci ce n’est pas parce que cela n’a rien à voir (au contraire) mais parce que cela est insuffisant. On peut refuser les mères porteuses même sans évoquer le sujet de la prostitution, ce qui signifie que ce qui peut défendre la maison close ne peut suffire à défendre l'usine à bébé.
Ce qu’il faut retenir de ce parallèle avec les mères porteuses, c’est qu’alors que l’opinion publique commence à prendre conscience que s’offrir les services d’un mère porteuse est (a minima) de la prostitution, ce gouvernement de menteurs se donne les moyens de répondre : « c’est nous qui déclarons ce qui est prostitution, et quelle prostitution est bien ou mal ».
Servage et prostitution, vers un monopole d’État
Nous avons déjà eu à faire avec un mécanisme similaire avec l’abolition du servage qui pourtant ne l’a pas fait disparaître. On a cru abolir le servage mais c’était faux. On croira abolir la prostitution et ce sera tout aussi faux.
Qu’est ce que le servage ? Le serf n’est pas un esclave. L’esclave est une chose qui appartient à une personne, le serf est une personne qui est attachée à une terre. Le serf n’appartient pas à son seigneur mais à la terre, et le seigneur a devoir de protéger à la fois la terre et les personnes attachées à cette terre.
Par l’ordonnance du 8 août 1779, Louis XVI a aboli le servage, c’est à dire que les seigneurs ont été détachés du devoir de protection de leurs terre et des personnes attachées à cette terre. Ce fut, de facto, un transfert de responsabilité au bénéfice de l’État².
Dans les faits, le servage n’a pas été aboli, la seigneurie est tout simplement devenue un monopole d’État. À la mort du roi, la seigneurie a été transférée d’une personne physique (le roi) vers une personne morale (la république). L’attachement à la terre aujourd’hui s’appelle domiciliation, et le sans-domicile n’est pas citoyen.
Le servage n’a en réalité jamais été aboli, c’est le servage libéral qui a été aboli.
Alors aujourd’hui, l’État dit vouloir abolir la prostitution. Avec les mêmes méthodes, et les mêmes mensonges. Ne nous y trompons pas, cet état ne ferait qu’abolir la prostitution libérale. On a cru abolir le servage, on croira abolir la prostitution. L’abolition du servage a fait du servage un monopole d’État, l’abolition de la prostitution fera de la prostitution un monopole d’État.
En fait, on croira que la prostitution aura disparue alors qu’elle ne sera tout simplement pas nommée, tout comme on croit que le servage a disparu parce qu’il n’est tout simplement pas nommé.
Il se trouve justement que l’État est en train de mettre en place une autre forme de prostitution que vous citez, celle des mères porteuses. Par les récentes lois sur la famille et celles à venir, l’État rend la prostitution nécessaire à la société. Il devient donc urgent que toute forme de prostitution devienne monopole d’État !
L’État a besoin de deux choses : que la prostitution soit un monopole d’État et qu’elle n’en porte plus le nom, tout comme l’État avait besoin que le servage soit un monopole d’État et qu’il n’en porte plus le nom. La manière la plus efficace de soutenir que quelque chose n’est pas de la prostitution est de déclarer qu’il n’y a plus de prostitution.
La moniale, la mère et la putain
Cette loi n’est pas une solution. Un des signataires des « 343 salauds » a formulé une excellente réponse lors d’une question télévisée. Alors qu’on lui montre une image issue d’une campagne américaine où une homme tient une pancarte où il est écrit « Real men don’t buy girls » Frédéric Beigbeder commente « je pense que c’est ça la solution, faire des campagnes pour sensibiliser les gens de ne pas acheter du sexe, c’est plus malin qu’interdire, […] interdire c’est mettre des flics dans la chambre à coucher ».
Dans son essai « La profondeur des sexes », le philosophe Fabrice Hadjadj confie :
L’État voudrait bien placer un gendarme dans la clôture de la religieuse, un gendarme dans le foyer de la mère, et un gendarme dans la chambre de la prostituée. L’État y travaille depuis longtemps et est en passe de réaliser les trois.
Résoudre le problème de la prostitution
Je n’apprendrai pas à un prêtre qu’envers la prostitution la conversion des cœurs est plus efficace qu’un monopole d’État ou qu’une simple abolition de parade.
Un mal ne peut être aboli que s’il est déjà sérieusement réduit. L’esclavage n’a pu être aboli qu’après des siècles d’évangélisation (n’en déplaise aux révisionnistes), et il subsiste toujours là où l’évangélisation n’est pas possible et il resurgit là où l’évangélisation recule. Si le servage n’a jamais disparu malgré son décret d’abolition, c’est parce qu’on a cru qu’un décret pouvait suffire et qu’on a gelé au même moment le travail d’évangélisation qui était le vrai moteur de son affaiblissement. Déclarer l’abolition de la prostitution sans avoir d’abord résolu ce problème par l’évangélisation est un leurre. La prostitution sera juste un peu plus clandestine.
Vraiment, la conversion des cœurs est la seule solution. Le projet de loi dont nous parlons n’est ici d’aucune aide. Avec l’abolition, l’État ne propose ni le pardon, ni la conversion, ni la réconciliation, ni la joie, ni la paix, l’État ne propose que l’absence. En fait, cette loi empêche toujours un peu plus de rencontrer la prostituée et son client.
Osée et Ézéchiel racontent l’histoire d’une prostituée du nom de Jérusalem. Au jour de sa naissance, cette prostituée est abandonnée par les siens et baigne dans son sang à la face des champs… Plus tard elle expérimente l’abandon et la soif au désert pour se souvenir des jours de sa jeunesse, pour qu’elle s’en souvienne lorsque Dieu expiera pour elle. Et l’on voit alors le Christ nu abandonné par les siens et baignant dans son sang à la face des champs qui crie « j’ai soif » et « pourquoi m’as tu abandonné » avant d’expirer. Le Christ prononce avec la prostituée les paroles que la prostituée ne savait prononcer. On se souvient alors du commandement : « Va, aime une femme qui est aimée d’un amant et adultère, comme le Seigneur aime les enfants d’Israël ».
Le seigneur et la prostituée sont indissociables, mais l’État n’aime pas la concurrence. L’État sait porter un jugement moral, mais l’État est incapable d’épouser la prostituée.
Notre gouvernement veut abolir la prostitution après le servage, mais en réalité se fait seigneur à la place du seigneur, et refuse d’épouser la prostituée.
Notre gouvernement n’aime ni les moniales, ni les mères, ni les prostituées, il n’est donc rien.
L’État investit dans tout ce qui rapporte
Quand je lis « La prostitution est une violence faite aux femmes parce qu’elle ne respecte pas leur dignité. Le mérite de cette loi est de le dire et de le graver dans le marbre », je souris, cela fait bien longtemps que notre gouvernement a aboli le marbre dans lequel on grave des tables de loi.
On ne va pas se leurrer, plutôt que chercher à résoudre les problèmes qui causent ou entretiennent la prostitution (comme la misère), l’État cherche tout simplement à faire payer plus de monde, et la mode actuelle est de remplir les caisses de l’État en prenant sa part des économies peu louables puisque les taxes sur les économies honnêtes ne rapportent plus.
Ainsi l’on impose le revenu des trafiquants de drogue, et l’on fera payer le client de prostitution.
Et franchement, entre nous, faire payer un client de prostitution comme on fait payer un excès de vitesse, ce n’est pas un peu dédramatiser la prostitution ?