De la mort à l’autel


Posté par Thomas Debesse le 23/05/2013 à 22:21. cc Licence CC by (copiez-moi !)

J'ai appris la mort de Dominique Venner comme beaucoup de français, par un échange de liens sur les réseaux sociaux.

Au début, lorsque j'ai lu un premier partage du style « un homme se suicide en réaction à la loi Taubira », je me suis d'abord demandé si c'était quelqu'autre fake qui ont court ces temps-ci tellement le lien me semblait improbable entre le mouvement de manifestation que j'ai longuement observé, et la mort par suicide…

Je m'étonne de certaines réactions, l'homme doit être respecté, mais il est impossible de rendre hommage à l'acte. L'homme a agit selon ses convictions, mais cela ne peut suffire : jamais une intention ne justifie un acte. De plus, personne n'avait besoin de cette mort.

Je ne connaissais pas cet homme, pas même de nom. Cet article se basera donc uniquement sur les quelques éléments factuels et publiques au sujet de la mort de l'homme et de sa vie.

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Ma première réaction fut l'étonnement et surtout un questionnement : où pouvait bien se trouver le rapport entre l'opposition à la loi Taubira et le suicide d'un historien ?

Très vite, je lis des commentaires à ce propos supposant que ce projet de loi ne suffisait certainement pas à expliquer son geste. Son éditeur aurait déclaré : « Je ne crois pas que l'on puisse lier son suicide à cette affaire de mariage, cela va bien au-delà ».

Dans son dernier article, l'homme fait référence explicitement à l'immigration afro-maghrébine ainsi qu'à un « grand remplacement de population », et évoque globalement la décadence de notre civilisation.

Préméditation

L'homme qui serait un grand spécialiste des armes est mort d'une balle dans la tête, tirée avec un pistolet particulier ne pouvant tirer qu'une seule balle. La roulette russe était jouée d'avance. Au moins deux lettres furent adressées ainsi qu'un article publié sur internet évoquant le fait de « jouer son destin jusqu’à la dernière seconde », seconde qui aurait « autant d'importance que toute une vie ». L'homme rend ses clés, monte à l'autel avec sa dernière lettre et y verse son propre sang. La mort est orchestrée, ritualisée…

Tout est maîtrisé.

Prétexte

Il est difficile de croire qu'une telle préméditation soit uniquement motivée par les débats sociétaux actuels. À en lire à droite et à gauche sur le personnage, cet acte ultime semble cohérent avec plusieurs idées philosophiques longuement défendues. Son suicide est dramatique mais n'étonne pas.

L'homme semblait convaincu de devoir maîtriser chaque seconde, et de ne surtout pas accueillir la mort. Parce que selon ses mots il faudrait « décider soi-même » jusqu'à « son dernier instant ». Ce ne serait pas le Verbe ni la Croix ni la Lumière qui luit dans les ténèbres, mais la seule « décision » qui vainc le néant.

Hier, aujourd'hui ou demain, le scénario était prévu. Il ne manquait que le moment et surtout un prétexte. Puisque cette mort décidée devait avoir l'importance d'une vie, il fallait un lieu, un prestige, des témoins, un moment et un prétexte.

Questionnement

On se demandera comment peut-on appeler à une « véritable réforme intellectuelle et morale » en se brûlant la cervelle. On se demandera comment peut-on réveiller les consciences en détruisant l'une d'elle. On se demandera comment peut-on « rompre la léthargie » en proposant le repos éternel. On se demandera comment peut-on appeler au combat en tournant l'arme contre soi. On se demandera comment peut-on écrire qu'il « appartient d'être entièrement nous même » dans « cette vie », en se dépossédant de soi et de cette même vie.

Suicide

On observe plusieurs formes de suicide. L'une d'entre elle est le suicide-anesthésie, ou suicide-fuite, quand la mort est recherchée comme une échappatoire. L'homme meurt soit par conséquence d'actes visant à réduire la douleur, soit voulue comme cause de fin de la souffrance, sacrifiant la vie avec la douleur. La mort est alors un moyen. L'homme veut arracher le membre souffrant pour arracher la souffrance, et provoque sa mort. Cette forme de suicide s'observe parfois sous des facettes incomplètes, comme le suicide social ou le suicide mental, cherchant l'annihilation d'une partie de ce qui constitue l'humanité, à défaut du tout. L'espoir peut motiver cette forme de suicide.

Il ne s'agit pas de ce suicide-là. Dominique Venner écrit qu'il n'y a pas d'échappatoire à l'exigence de la vie… Dominique Venner ne cherche pas à se défaire de quelque chose d'insupportable en lui. De plus, écrivant qu'il faut vaincre le néant, Dominique Venner ne peut chercher le néant comme un moyen.

Une autre forme de suicide est la mise à l'épreuve. C'est la tentation du Christ sur le pinacle du temple : se mettre dans une situation inextricable où seul Dieu peut agir, attendant qu'il se soumette à la prophétie « Il donnera à ses anges des ordres à ton sujet ; et ils te porteront sur leurs mains, de peur que tu ne heurtes ton pied contre une pierre ». L'homme se jette dans le vide, l'homme s'abandonne, abdique ses forces, sa volonté et sa liberté et se soumet à une loi qui le dépasse et qui le tuera : il ne peut plus rien pour lui et seul Dieu peut intervenir. L'homme tente Dieu. Entre le pont et l'eau l'homme a le temps de se repentir, mais l'homme espère aussi que Dieu le sauve, au moins dans un autre monde. Cette forme de suicide est abordée avec grande justesse par le réalisateur Philippe Ramos dans son film Jeanne Captive, apportant à l'évangile de Matthieu une lecture d'une grande actualité.

Plutôt que chercher l'anesthésie de sa souffrance, l'homme met Dieu au défi de sauver ce qu'il a de plus précieux : la créature bien aimée. La mort ou le risque de mort est un signal. Ce suicide peut prendre des formes dérivées comme la grève de la faim : le rôle de Dieu est attribué à la société, et la loi qui promet une mort certaine est une loi choisie pour donner le temps à la société de réagir. Pour mettre Dieu à l'épreuve la loi de la gravité suffit, pour mettre la société à l'épreuve la loi de la faim est plus adaptée. La foi peut motiver cette forme de suicide.

Il ne s'agit pas non-plus de cette forme-là, car pour Dominique Venner, il n'y a pas de mise à l'épreuve, il n'y a pas de défi, et la mort ne doit pas pouvoir être empêchée. Il n'y a ni abandon ni abdication.

Le suicide-défi ainsi que le suicide-anesthésie sont probablement les formes de suicides les plus courantes.

On retrouve encore le suicide-témoin, quand l'homme s'immole, par exemple. On peut y voir un mélange de suicide-anesthésie et de suicide-défi, avec la particularité que la mort étant désirée comme moyen ou comme cause (anesthésie), la mise à l'épreuve ne se manifeste que par le constat de son échec. La mort est à la fois un moyen et un signal, et à la fois l'espoir et la foi peuvent motiver cette forme de suicide.

Le suicide de Dominique Venner ressemble en beaucoup d'aspect au suicide-témoin : ritualisation, avertissement, témoignage… mais n'y ressemble pas du tout selon les motivations : il n'y a ni anesthésie ni défi, et peut-être pas d'espoir ni de foi. L'abbé Guillaume de Tanoüarn relève que le désespoir ne domine pas le texte, mais si Dominique Venner peut traiter d'un espoir ou d'une foi, ni l'espoir ni la foi ne sont pour lui même.

Il reste encore une forme de suicide à aborder (il y en a certainement d'autres, mais nous ne pouvons être exhaustif), c'est le suicide-néant. C'est la forme qui est peut-être la plus présente dans les esprits parce qu'elle est la plus condamnée, mais elle est peut-être aussi la plus rare car sa réalité n'est pas évidente…

Le suicide-néant : vouloir se détruire, ne plus être, et même ne plus avoir été. Disparaître de la réalité. La mort ici est une fin. S'il est impossible de juger avec certitude comme péché mortel toutes les autres formes de suicides, cette forme là est mortelle par nécessité. Ce suicide renie espoir et foi, refuse pour soi la création et pêche contre l'Esprit. La peine de la damnation serait d'échouer éternellement à n'avoir jamais été.

Le suicide de Dominique Venner est en forme de vide… Le suicide de Dominique Venner est une fin et le moyen de sa propre fin. Cependant, il serait tout de même difficile de voir le suicide de Dominique Venner comme un suicide-néant. Si l'on a du mal à percevoir foi et espoir dans son acte, et que ni l'anesthésie ni le défi ne savent expliquer le geste, l'acte de Dominique Venner est accompagné de circonstances et gestes testamentaires contraires au néant : témoins, lieux, rituel, lettres…

Bien que prenant la forme du néant, l'acte de Dominique venner est contraire au néant. Son acte est inscrit dans la réalité. Dominique Venner parle de sacrifice. Le sacrifice est un anéantissement, mais ordonné à une réalité. Le sacrifice suppose une réalité. Si un espoir est possible, il l'est dans la communion des saints. L'espoir revient à chacun.

Néant

Pourtant le néant tient une grande place. Dominique Venner voulait vaincre le néant. En même temps, il évoquait Heideger en disant que « l'essence de l'homme était dans l'existence et non dans un autre monde », et se suicidant, il détruit son existence. Dominique Venner refusait un autre monde, et a refusé l'existence. Il a tout refusé. Selon ce système de pensée, il devient le néant qu'il voulait vaincre. Échec.

Ou bien Dominique Venner est désormais néant et le système de pensée qui a poussé son acte a échoué en cherchant à se vérifier, ou bien Dominique Venner n'est pas néant et ce même système de pensée est également tenu en échec.

Dominique Venner n'est plus, mais a été, et si le système qui a motivé sa mort est tenu en échec dans tous les cas, il apparaît une réalité implacable : Dominique Venner fut, c'est donc que l'être caractérise Dominique Venner, et que donc Dominique Venner est.

Néo-paganisme

L'homme monte à l'autel et verse son sang, ceci est mon corps. Dans cette messe néo-païenne, tout semble consommé, mais la résurrection n'est pas attendue. Ici le martyr est aussi le bourreau. Dans le judéo-christianisme, le martyr n'est pas son propre bourreau. Ce n'est pas nécessaire car même le frère peut être le bourreau, même le prêtre peut être le bourreau. Abel a eu pour bourreau son frère Caïn, le Fils de l'Homme a eu pour bourreau les prêtres du peuple Élu, et Jeanne a eu pour bourreau les prêtres de l'Église. Tous frères, tous prêtres, tous bourreaux.

On retrouve le martyr-bourreau dans l'Islam, on retrouve le martyr-bourreau chez Dominique Venner, on retrouve le martyr-bourreau dans le mythe de l'homme fort qui ne peut recevoir sa mort d'un autre.

Dominique Venner a refusé d'accueillir sa mort. Je crains que cette profanation inutile ne nourrisse un néo-paganisme qui instrumentalisera l'Église ou la nation à leurs dépends et qui sera cause de chute de nombre de fidèles. Le paganisme accueille avec bienveillance les idoles, l'une d'elle peut-être la nation. Il faut craindre un nationalisme pétrit de paganisme, car la charité n'y survit pas. Par son acte, Dominique Venner nourrit un néo-paganisme qu'il était inutile de féconder.

Gâchis

Peut-on accueillir la vie si l'on ne sait accueillir la mort ? De cet acte il n'y a pas de gloire, il n'y a que désolation. Cette mort n'apporte rien à la famille. Cette mort n'apporte rien à la nation.

La famille est le lieu de la naissance, le lieu de la vie. La nation est le fruit de la naissance, le fruit de la vie. En se suicidant, Dominique Venner a refusé la vie, refusé la nation, et refusé la famille. Sa mort blesse la vie, la famille et la nation.

Suite à son suicide, la cathédrale Notre-Dame a été évacuée et tous les offices jusqu'à 20h ont été annulés. Il était prévu à 20h30 en ce même lieu une grande veillée pour la vie. Dominique Venner a pris le risque de saboter cette veillée pour la vie.

L'acte de Dominique Venner ne mérite aucune gloire, ce n'est que le fruit d'une décadence qui s'oppose à un autre décadence. L'homme doit être respecté en tant qu'homme, sa famille accueillie, la miséricorde peut être priée, mais son geste ne doit pas porter de fruit. Que peut-il naître de bon de l'union de la mort et de la profanation ? Comment défendre une idéologie qui vient de se révéler aussi mortifère ?

Il est un grand risque que cet acte éveille ou ravive dans beaucoup d'intelligences les germes d'une idéologie qui vient pourtant de révéler son véritable visage : l'autodestruction. Dominique Venner a tout gardé pour lui, même sa mort, ne la partageons pas.

Réalité

Il ne s'agit surtout pas de considérer Dominique Venner comme un malade, ce qui permettrait de dissocier son acte de l'idéologie qui l'a motivé. Comme l'a écrit l'abbé Robinne, ce serait faire injure à son intelligence. Il n'est pas juste de dire que Dominique Venner « n'allait pas bien ». Dominique Venner était conscient, et c'est pourquoi l'idéologie doit être appréhendée avec autant de réalité que son acte : il ne faut ni l'imiter ni se l'approprier.

L'abbé de Tanouärn ajoute encore, plus sage : « N'ayez pas peur du mal, de la puissance du mal. Elle est déjà vaincue ».

Alors la mort est constatée. Du jugement personnel de Dominique Venner, personne ne peut se prononcer. Ce qu'il nous appartient de juger, ce sont nos propres actes, et laissons les morts enterrer leurs morts.

Ouverture

L'Empire Romain est mort, l'Église a évangélisé les barbares. Dominique Venner est mort, et il s'est couché dans une cathédrale dressée. L'Église est plus grande que les idéaux qui peuvent motiver un suicide.

Il ne suffit pas de monter à l'autel pour mourir, il ne suffit pas de mourir pour monter à l'autel.

La gloire de Dieu c'est l'homme debout.

Une femme

Dans son dernier article Dominique Venner accusait une dernière fois l'Église de la chute de la France, mais choisit en même temps de mourir dans une cathédrale de France.

Dominique Venner est mort devant l'autel de Notre-Dame, dans une cathédrale dressée au milieu des siècles. Et si la gloire de Dieu c'est l'homme debout, cet homme debout est peut-être bien la Femme, celle qui reçoit le sang de l'homme, le sang de son enfant.

C'est parce que son sang coule sur le sein de cette Femme que Dominique Venner n'est pas néant : depuis qu'un autre sang a déjà été versé pour lui, celui du Ressuscité, cette Femme accueille dans ses bras les corps morts de tout ses fils.

Et s'il faut une fécondité, il faut donc la chercher dans cette femme, et non dans cet homme.


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Étiquette : Marie.

Rétroliens : Y a-t-il une liberté au second tour.