Mort de René Robert, accoutumance à l’indifférence ?


Posté par Thomas Debesse le 05/02/2022 à 17:35. cc Licence CC by (copiez-moi !)

Accoutumance à l’indifférence ?
→ regarder sur la chaîne Youtube N’oubliez pas de vivre (Licence CC By‑SA)

Transcription

Sommaire :

00:00 La mort de René Robert
00:38 Accoutumance à l’indifférence ?
07:28 Infos & Promo
08:26 Générique

La mort de René Robert

[Copie d’écran Le Nouvel Observateur]

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Vous avez peut-être vu passer cette information il y a quelques jours, un homme est mort en pleine rue après être tombé. De ce que j’ai lu dans la presse, cet homme, René Robert, était un photographe, mais peu importe son métier, c’est un homme qui à 85 ans a fait une chute en se promenant et personne ne l’a aidé. Selon la presse, il serait tombé dans une rue très passante de la capitale, mais c’est un sans-abris qui aurait appelé les pompiers près de neuf heures plus tard, et c’était trop tard. Le problème c’est qu’en 2022, il est devenu normal d’enjamber des gens à Paris.

[Titre]

Accoutumance à l’indifférence ?

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Je pense que ce tragique événement est un reflet de beaucoup de choses qui se sont installées ces dernières années et en particulier le reflet d’une certaine forme d’accoutumance et d’acceptation à plusieurs degrés.

J’ai passé mes études à Paris, et quand j’étais lycéen, étudiant, apprenti, j’ai passé beaucoup de temps dans la rue, d’abord avec des associations qui apportaient des services directs aux sans abris comme le fait de préparer et servir des repas. Et avec le temps je suis descendu plus profondément dans la rue et plus près de ces personnes, je n’apportais pas quelque chose, j’étais présent. J’étais par exemple simplement assis, et j’ai partagé le silence.

[Photo D. Place du Palais Royal]

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Sur cette photo prise en 2007, l’homme qui dort sur une plaque chauffée par le métro, place du Palais Royal, c’était un ami. En fait j’ai moi aussi dormi à cet endroit là, sur cette plaque. Je n’étais pas sans abris moi-même, mais j’étais avec eux et j’ai vécu beaucoup de choses avec eux, et ils ont vécu beaucoup de choses avec moi aussi. J’ai su ce que c’est de faire la manche, pas pour moi-même, je n’en avais pas besoin, mais j’ai su ce que c’est d’être assis avec un homme qui mendie pour lui-même, d’être vivants avec lui, et quand l’homme se lève pour aller s’acheter un sandwich ou une bouteille, il me demande de garder son chapeau, et de faire la manche à sa place le temps qu’il revienne, et je l’ai fait.

[Photo D. Anniversaire]

En fait, nous avons vécu ce que c’est d’être ensemble, et nous avons vécu.

[Photo D. avec chiens Porte de Champerret]

L’ami que l’on voit sur cette autre photo est mort exactement trois mois et trois jours après ce dernier jour où je l’ai vu, il est mort à 36 ans. Il a été enterré par les morts de la rue. Je suis dans ma trente-sixième annéemaintenant et c’est vrai que ça fait quelque chose.

Et pour diverses raisons je suis parti de la région parisienne, j’ai aussi rencontré d’autres personnes, ainsi que d’autres sans-abris et mendiants, ailleurs.

[Photo J-L. guitare Place du Palais Royal]

Mais souvent je remontais à Paris, je revenais voir ceux que je connaissais dans la rue et ce que je connaissais qui n’étaient pas à la rue, ceux qui étaient vivant. Au fil des années j’ai observé des changements.

Je me souviens par exemple avant les années 2010 d’une arrivée de Polonais. Au fil des quinquennats Hollande et Macron, j’ai vu d’autres changements de population au gré des vagues migratoires.

Et puis j’ai vu des changements de nombre et des changements de comportement. J’ai vu des hommes allongés en travers des couloirs de métro, en travers des quais, en travers des rues. Le nombre de gens allongés dans la rue a augmenté, et avec l’augmentation de personnes vivant à la rue, grandissait l’accoutumance à voir ces gens dormir dans la rue.

J’ai vu s’accroître le phénomène des gens allongés sur les lieux de passage.

Et puis il y a eu tout ce développement de mobiliers urbains anti-homme, avec non-pas des piques anti-oiseaux, mais des piques anti-hommes. Et vous avez certainement vu, vous aussi, l’arrivée de ces sièges debout-assis, où l’on peut s’appuyer mais où l’on ne peut pas s’asseoir, des sièges penchés utilisables uniquement par ceux qui sont éveillés, éveillés entre la cité dortoir et le travail.

En dehors de Paris j’ai vu des gares affichant fièrement sur les murs leur conformité aux normes françaises mais où il n’y avait pas un seul siège et où les passagers en attente de leur train s’asseyaient à même le sol.

Et à Paris j’ai vu ces hommes qu’il fallait enjamber. Je me suis vu contraint à devoir enjamber des gens pour pouvoir passer d’un quai de métro à un autre. Lorsque je revenais à Paris je me suis vu contraint de devoir enjamber des hommes pour pouvoir me déplacer.

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Et je crois que là, nous touchons à un point essentiel qui est l’accoutumance ; l’accoutumance à l’indifférence au premier abord, et ensuite l’accoutumance à l’inacceptable et à l’inhumanité. C’est à dire que, par exemple, les classes sociales de la plus élevée parmi celles qui marchent encore dans la rue jusqu’à la plus basse au dessus du sans-abris, ces classes sociales ont appris à développer une accoutumance à l’indifférence à un niveau jamais atteint auparavant. C’est devenu normal, à Paris, d’enjamber des gens dans la rue en fait, et ça fait longtemps que c’est comme ça.

Alors comment pourrait-on s’étonner qu’un homme puisse rester allonger neuf heures dans un quartier passant de l’une des plus célèbres capitales du Monde, sans que personne ne vienne à son secours. N’est-ce pas normal après-tout ?

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Alors quand René Robert était allongé au sol, c’est un SDF qui a compris que quelque chose n’était pas normal. Celui pour qui le quotidien est peut-être de dormir dans la rue, celui-là a compris que quelque chose n’était pas normal. Mais c’était trop tard.

Depuis 15 ans, je vois une accoutumance à beaucoup de choses inacceptables, une accoutumance et une acceptation, et cette acceptation va grandissante, et il ne s’agit pas que de s’accoutumer à enjamber des personnes dans la rue.

J’ai l’habitude de faire des reportages en manifestations et au début des années 2010, je n’avais besoin pour seule protection qu’une écharpe sur le nez et des lunettes. Et avec le temps vous avez pu voir vous-même ou à travers les médias des journalistes se faire tirer dessus. Des manifestants ont été éborgnés et mutilés. Sous le quinquennat Macron, c’est avec casque, chaussures de sécurité, dorsale, et masque à cartouche que je suis allé en reportage. C’est devenu le paysage accepté des manifestations, c’est devenu la nouvelle normalité.

Quand le Covid est arrivé j’avais déjà des masques FFP3 à cause des lacrymos.

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Et puis ces dernières années, nous avons accepté de ne pas nous approcher les uns les autres, nous avons appris à éviter de nous parler. Nous avons appris à rédiger pour nous-même des attestations, nous avons accepté d’étendre la bureaucratie de l’État jusque dans notre propre relation à nous-même, et nous nous y sommes soumis.

[Photo liste restaurant]

Alors nous avons accepté d’écrire notre nom dans des fichiers partout où nous allions.

[Capture d’écran 20 Minutes]
[Caputre d’écran BFM Business]

Il a fallu pour certains d’entre-nous accepter de ne pas vivre les funérailles de nos proches, ou de ne pas participer à une noce. Nous avons cessé de vivre la mort et de vivre la vie.

[Capture d’écran La voix du Nord]

Et nous avons accepté de nous contrôler les uns les autres avant toute participation à un événement commun ou un accès à un lieu commun. Et puis nous avons accepté d’avoir un logiciel de suivi dans notre poche qui avertirait à notre place de notre état de santé ceux que nous aurions côtoyés et ceux que nous connaissons. Nous avons cessé d’être le prochain de l’autre. Nous avons mis des programmes entre nous et les autres.

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Alors, en 2022, c’est devenu normal d’enjamber un homme à terre, c’est devenu normal de ne pas parler à un homme à terre, c’est devenu normal de ne pas regarder un homme à terre, c’est devenu normal de ne pas voir cet homme à terre comme un membre de sa communauté, quelqu’un vers qui on s’abaisse, à qui on adresse un mot, quelqu’un dont on prend la main, quelqu’un dont on s’inquiète de son état et de son bien, quelqu’un qu’on relève et à qui on prête assistance.

Alors les hommes sont passés, et ne l’ont pas regardé. Et quand le bon Samaritain est arrivé, c’était déjà trop tard.

Apprenons à redevenir des hommes, et n’oubliez pas de vivre.

Infos & Promo

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Alors pour les nouvelles de la chaîne, sur le conseil de plusieurs personnes j’ai rendue disponible ma précédente vidéo « comment j’ai été réduit en esclavage » en deux épisodes séparés pour rendre plus facile le visionnage et le partage des différentes parties. Mon prochain épisode sur le passe vaccinal européen et la citoyenneté est toujours en cours de préparation. Je vous rappelle que j’ai ouvert une page Tipeee pour vous permettre de soutenir la chaîne si vous le souhaitez, et le partenariat est toujours en cours avec l’artisanat français Arbre de vie qui propose des produits en bois comme des jeux, des ustensiles de cuisines ou de décoration sur le site jouetsboisnaturel.com. Avec le code VIVRE2022 vous indiquez au vendeur que vous êtes venu par moi et vous bénéficiez de 10€ de réduction à partir de 50€ d’achat. Il y a dans le catalogue de beaux objets de décoration, comme une carte de France, une fleur de lys et une croix occitane, vous verrez peut-être l’un d’entre eux s’ajouter à mon décor bientôt. N’oubliez pas de vous abonner à la chaîne pour ne pas manquer les prochains épisodes.

[Générique]


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Lecture conseillée : Je suis oublié, Lettre ouverte à Monsieur Bernard Boucault préfet de police de Paris.

Étiquettes : N oubliez pas de vivre, Rue.


Sources :


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