Posté par Thomas Debesse le 09/04/2013 à 21:58. Licence CC by (copiez-moi !)
Ce billet est une réponse à celui de Yves Delahaie sur Le Plus du Nouvel Observateur :
J'avais publié une réponse en commentaire mais elle n'est pas restée entière… Alors je la reproduis ici et en profite pour la développer un peu…
Je m'étonne du billet de Yves Delahaie en fait, et me demande s'il ne contribue pas, sans le savoir, à ce qu'il craint…
Le péché du peuple
Yves Delahaie cite une longue liste de menaces et intimidations, toutes plus condamnables les unes que les autres (à part peut-être le petit-déjeuner de Chantal Jouanno à propos duquel je n'arrive pas à me faire d'idée)… et tout ça pour accuser une seule personne…
Non, Frigide Barjot n'est pas responsable de la nébuleuse anti mariage gay, ni de l'homophobie, ni d'un anti gouvernement Ayrault… Frigide Barjot n'est qu'un instrument des opposants au projet de loi Taubira. Frigide Barjot peut tomber.
- L'opposition au mariage gay est une chose.
- L'homophobie en est une autre.
- L'opposition au gouvernement Ayrault en est encore une autre.
À cette distinction il faudrait encore ajouter ceux qui ne font que s'opposer aux conséquences de la loi telle qu'elle a été rédigée.
Il serait faux de dire qu'il n'existe personne qui se retrouvent dans au moins deux de ces ensembles. Mais il serait tout aussi faux de dire qu'ils forment tous un seul et même ensemble. Les défenseurs du projet de loi Taubira feraient une grave erreur qui pourrait leur coûter très cher s'ils entretenaient cette confusion.
- Il y a des opposants au mariage gay qui ne sont pas homophobes
- Il y a des homophobes qui n'en ont rien à faire du mariage gay, et certainement la majorité. Le mariage gay n'étant pas la cause de leur homophobie, ils seront toujours homophobes même si le mariage gay est voté. Le projet de loi n'est qu'un prétexte pour se justifier et dont ils peuvent se passer. Pour un homophobe, un gay ou un gay marié c'est du pareil au même.
- Il y a des opposants au gouvernement Ayrault qui ne sont pas contre le mariage gay ou tout simplement sans avis, mais pour qui l'impopularité de ce projet de loi est un prétexte d'opposition.
Frigide Barjot ne représente qu'un seul ensemble :
- L'opposition au mariage gay et à ses conséquences
Et seulement un sous-ensemble de cette opposition.
Frigide Barjot a plusieurs fois condamné l'homophobie et a plusieurs fois exprimé son désaccord et son détachement d'avec les mouvements ayant une volonté plus politiques.
Il faut voir que Frigide Barjot peut sauter sans rien détruire de cette nébuleuse. Elle n'en est pas responsable. Frigide Barjot n'est qu'un instrument poussé par tous ceux qui n'aimeraient pas être à sa place. Elle est celle qui se fait accuser aussi bien par ses opposants que par les siens, parce qu'il faut quelqu'un pour porter cette tâche ingrate et payer pour les autres. Parmi les opposants au projet de loi Taubira, beaucoup voudraient qu'elle soit remplacée… mais aucun ne voudrait être à sa place.
La ritualisation d'un débat
Il est faux de croire que Frigide Barjot est une tête qu'il suffit de faire tomber pour décapiter une opposition. Frigide Barjot ne fait même pas l'unanimité dans La Manif Pour Tous, et ne parlons pas des mouvements parallèles… Frigide Barjot n'est qu'un instrument, un bouc émissaire poussé par la foule.
Il est faux de croire que La Manif Pour Tous et l'opposition au projet de loi Taubira ne font qu'un, ce rassemblement n'est que circonstanciel, parce qu'accepté par l'ensemble. Si La Manif Pour Tous disparaît, l'opposition ne disparaîtra pas… elle sera juste moins visible, et ce n'est pas à souhaiter pour personne.
Bien visible, l'opposition se doit d'être irréprochable. La Manif Pour Tous le fait assez bien. Retirez cette visibilité et tout le monde s'en mordra les doigts.
Le gouvernement a déjà fait les frais de cette erreur stratégique en interdisant les Champs-Élysées. Il y a eu deux manifestation à gérer : une sage et rangée qui rentre chez elle toute seule, et une autre ingérable formée d'une somme d'individualités.
Le gouvernement a déjà fait les frais d'un refus du débat, comme le signale judicieusement le rapporteur Erwan Binet, que vous citez et que je cite : « on peut pas réclamer le débat et l'entraver ensuite ».
Ce qu'Erwan Binet n'a pas mesuré dans cette parole, c'est l'aveu qu'il prononce. On ne peut réclamer que ce qui ne va pas de soi, c'est pourquoi en reconnaissant que le débat était réclamé, il reconnaît qu'il était empêché. Si un débat ne va pas de soi dans une démocratie, c'est qu'il est empêché. Erwan Binet le sait et le reconnaît.
La réclamation ne pouvant que succéder à un empêchement et non l'inverse, un débat ne pouvant être réclamé que s'il est d'abord entravé, il convient de réécrire justement cette phrase : « on ne peut pas entraver le débat et le réclamer ensuite ».
La Manif Pour Tous est un interlocuteur. Parce que cet interlocuteur existe, le dialogue et donc le débat est possible. Si vous empêchez l'interlocuteur La Manif Pour Tous de débattre au nom de ceux qui ne débattent pas, vous ne pourrez vous non-plus réclamer le débat que vous empêchez.
Si La Manif Pour Tous disparaissait, vous n'auriez pas un adversaire visible comme un éléphant dans un couloir, mais une fourmilière. Si vous n'êtes pas croyant, il vous faudrait tout de même apprendre à prier qu'elle ne se change pas en marabunta.
Le gouvernement n'a pas su contrôler cette nébuleuse qui existe sans Frigide Barjot mais qui tient dans la légalité grâce à La Manif Pour Tous, et donc à des personnes comme elle. Vous-même ne sauriez contrôler cette nébuleuse.
Si Frigide Barjot tombe, la nébuleuse sera encore plus incontrôlable et vous justifierez cette perte de contrôle.
Le sang du bouc émissaire justifie.
Le sang du sacrifice
Dans son livre Des choses cachées depuis la fondation du monde, René Girard, philosophe et anthropologue de la violence et du religieux, écrivait :
Les deux premiers paragraphes que je cite sont déjà effectifs, et vous travaillez à réaliser le dernier. Le désirez-vous vraiment ?
J'aurais voulu écrire « ne ritualisez pas le débat ». Mais c'est déjà trop tard, il ne reste plus qu'à empêcher la dernière étape, « ne tuez pas le bouc émissaire ».
Vous voulez que Frigide Barjot paie pour toutes ces violences ? Mais si elle fait cette expiation, ce sont leurs auteurs véritables qui seront blanchis.
Si vous continuez le rituel du bouc émissaire, vous achèverez le sacrifice, et vous serez responsable de ce que son sang pourra justifier. Vous pensez peut-être laver ainsi les fautes de la société… vous lui ôterez bientôt sa culpabilité et vous ne mesurez pas encore ce que vous rendez possible.
Frigide Barjot n'est pas génitrice d'une contestation, elle n'est que son bouc émissaire, ainsi que le vôtre.
Faites attention avec votre fatwa, en faisant de Frigide Barjot une victime, ce que votre diffamation¹ ne peut qu'amener, vous ferez tomber la trop précieuse frontière qui sépare les manifestants pacifiques d'avec les violents opportunistes. Si vous faites de Frigide Barjot une victime, vous motiverez à la violence une majorité dont il n'y a actuellement rien à craindre.
Frigide Barjot peut tomber, mais si elle tombe, ce n'est pas dans l'intérêt des défenseurs du mariage gay. Frigide Barjot peut tomber, mais si elle devait tomber, il ne faut pas que ce soit en tant que bouc émissaire. Pour ceux qui soutiennent le projet de loi il n'y aurait plus d'ennemi facile et identifié, pour les opposants tout devient possible et il n'y aurait plus aucune mesure.
Vous voulez faire tomber Frigide Barjot ? Prenez garde à ne pas ritualiser sa chute.
Vous voulez charger Frigide Barjot de toute responsabilité, en faisant cela vous blanchissez toutes les responsabilité personnelles, celles que vous n'imaginez pas.
Si vous chargez Frigide Barjot de toute responsabilité, le GUD peut ratonner, il ne sera pas responsable.
Le voulez-vous vraiment ? Vous en seriez responsable.
Je ne le désire pas.