Posté par Thomas Debesse le 30/03/2013 à 18:42. Licence CC by (copiez-moi !)
Le 24 mars il y avait « Manif Pour Tous », mais cette fois-ci, je ne comptais pas manquer de photos !
Savez-vous que la France est classée 37ème dans le classement mondial pour la liberté de la presse ? C'est un bien triste score et c'est pourquoi je choisis de couvrir les événements qui sont à ma portée, et je ne veux pas rater mes photos…
Préparation
Le 13 janvier, je n'avais emporté qu'une batterie, et j'avais été très vite contraint de prendre des photos avec un vieux et très mauvais smartphone… J'ai commandé quatre batteries supplémentaires afin d'être bien chargé.
Mais il n'y a pas que les batteries… mon petit doigt me disait que contrairement au 13 janvier où l'on cherchait les policiers, il était probable qu'ils soient mieux armés et qu'un comportement plus violent sois à attendre. En effet, la situation est plus tendue :
- volonté de pousser en force un projet impopulaire quand de vrais problèmes se posent comme le chômage ou la crise financière…
- un faux débat à l'assemblée nationale où le gouvernement se tait, sauf pour manquer de respect (spéciale dédicace à Mme le garde des sceaux qui commence quasi-systématiquement ses interventions par un argument ad hominem).
- une pétition citoyenne (papier !) de 700 000 personnes balayée d'un éternuement, un président du CESE qui demande l'avis du gouvernement pour pouvoir donner son avis au gouvernement…
À cela il faut ajouter, d'une manière générale, la situation de crise et le mécontentement des Français envers la politique gouvernementale.
Nouveauté par rapport à la manifestation du 13 janvier, en plus de l'opposition au projets de loi, les Français manifesteront leur opposition au gouvernement. Cette opposition n'est pas complètement assumée par le collectif « La Manif Pour Tous » mais profondément partagée par une foule nombreuse de Français.
Cela ne permet pas encore de prévoir de la violence, seulement une forte tension. Ça se remarque par exemple sur les couleurs et les formes des dessins des pancartes officielles qui sont de tonalité plus agressives. On ajoute encore à cela que :
- les méthodes de la préfecture de police (réponses par communiqué de presse) et les paroles du ministre de l'intérieur manquent de respect envers les manifestants.
- le lieu de manifestation attendu est interdit à quelque jours de la manifestation, ce qui frustre tous les manifestants.
- certains manifestants venant à Paris pour la première fois, il est étonnant de retirer l'accès à une fierté nationale.
Et puis l'avant-veille de la manifestation est enfoncé un dernier clou : l'annonce de seulement 100 000 manifestants attendu de la part de la préfecture de police, ce qui provoque trois réactions :
- certains ont besoin de se mentir à eux-même et ça se voit.
- d'autres partent du principe que tout est déjà joué d'avance.
- si la préfecture de police attend réellement 100 000 manifestants, soit trois à huit fois moins de manifestants que le 13 janvier, il va y avoir des accidents.
À cela il faut encore ajouter les quelques rumeurs et autres blagues de potaches comme un pique-nique sur les Champs Élysées qui a vu s'inscrire plus de 7500 participants… Certains avaient aussi soumis l'idée d'un camping champêtre…
Le peuple dit « chiche » et la préfecture de police répond « que d'la gueule ». La tension monte. Au ministère de l'intérieur et à la préfecture de police, certains jouent avec le feu.
état : que d'la gueule
peuple : on va revenir encore plus nombreux le 24 mars
état : que d'la gueule
peuple : on sera tellement nombreux que c'est le bitume qu'il faudra remplacer
état : que d'la gueule
peuple : on ira aux champs élysées
état : que d'la gueule
peuple : on va même y pique-niquer
état : que d'la gueule
peuple : on va y camper
état : que d'la gueule
peuple : on arrive !
état : que d'la gueule
Face à de tels enfantillages de la part de nos institutions, on pouvait prévoir des drames, au moins par accident.
L'équipement
Je me suis donc renseigné auprès de quelques post-soixanthuitards et anarchistes plus habitués que moi à survivre dans une manifestation qui dégénère… j'ai trouvé quelques liens sympathiques :
- 1libertaire : Conseils médicaux à suivre pendant une manifestation
- Forum Anarchiste : Solution contre la lacrymo
- mai68.org : En manif, pour contrer les lacrymos (…)
Je pars donc avec cinq batteries, une carte mémoire toute neuve, et au cas où une écharpe et des lunettes de piscine. J'emporte comme d'habitude mon petit appareil photo tout-terrain étanche et durci contre les chocs. Il ne fera pas des photos sublimes dans la grisaille parisienne, mais il devrait survivre à diverses projections et à quelques maltraitances. Très utile, un GPS est intégré à l'appareil photo qui synchronise l'heure et géolocalise les photos !
Certains disent que la guitare est une arme, un appareil photo l'est aussi.
Le kit du parfait petit terroriste
L'arrivée à Paris
Pour ne pas rester bloqué en queue de manifestation (chat échaudé craint l'eau froide), je décide de ne pas rejoindre les départs officiels. Comme de nombreuses stations de métro sont fermées, je descends à Concorde.
Surprise, des policiers sont placés place de la Concorde ! J'essaie d'envoyer sur les médias sociaux la pensée suivante : « Les CRS plein les champs. Si vous désirez attaquer une diligence n'importe où ailleurs, par exemple avenue de la Grande Armée, c'est le moment ».
Je constate que le message ne part pas, c'est bon signe ! Je ne suis qu'à la Concorde et les réseaux de communication commencent déjà à saturer.
La préfecture a vraiment peur des campeurs…
Les CRS et les gendarmes sont partout sur les champs… Pourtant la manifestation est beaucoup plus loin !
La préfecture a vraiment peur que des gens pique-niquent sur les champs
Les CRS sont venus en grand nombre, et le panier à salade attend patiemment ses passagers.
Arrivé place de l'Étoile, il faut faire un long demi-tour par de rues voisines. Je constate que les voitures peuvent encore passer et que les champs ne sont pas encore complètement fermés (la manif commence à peine). À l'avenir il faudra songer à manifester en voiture, ou bien de faire du stop pour se faire déposer à l'Arc de Triomphe !
Il y a des policiers et des gendarmes partout, depuis la Concorde à l'Étoile. Cela semble absurde d'ailleurs : pourquoi ne pas avoir autorisé « La Manif Pour Tous » sur les Champs ? cela aurait moins dispersé les forces de l'ordre.
Rappelez-vous la manif du 13 janvier. La liberté de circulation était totale.
Voilà mes souvenirs du 13 janvier : les policiers semblaient seulement faire acte de présence (nous étions pourtant également en vigipirate), quand ils n'étaient pas en train de s'acheter une saucisse à une baraque à frites. Les CRS ne portaient ni casques, ni boucliers.
Le 24 mars, une chose est sûre : les autorités ont peur… Et les policiers ont été mobilisés en grand nombre.
Je continue mon chemin et retrouve un peu partout des volontaires de « La Manif Pour Tous » :
Je marche avec des familles, en chemin pour rejoindre le lieu de la manifestation. Il semble qu'elles ne se doutent de rien… Elles sont venues comme au 13 janvier, en famille avec poussettes et nourrissons. L'ambiance est familliale et tranquille.
Après un long détour, j'arrive enfin Avenue Foch.
Fond de carte : OpenStreetMap
Sur les lieux
Dès mon arrivée je respire une grande bouffée de gaz lacrymogène. Il est 15h, je suis en retard ! Je m'écarte, respire, sort mon équipement et remonte la foule, parents, grand-parents et enfants qui reculent.
Je photographie.
Très vite je remarque un feu tricolore, j'y monte. De là je vois beaucoup de choses, et j'ai la garantie de pouvoir rester à ma place malgré les mouvements de reflux provoqués par les prochains gazages.
Ils ne se font pas attendre, pendant une heure j'assisterai à 5 ou 6 gazages, un tous les 20 minutes. Pas de GUD, mais des familles. Nous ne sommes pas aux Champs Élysées, nous sommes avenue Foch.
Au passage, je remarque que d'autres que moi sont venus équipés :
L'embuscade avenue Foch
Ce que l'on remarque, c'est la drôle de situation des manifestants, pris en cul-de-sac par les forces de l'ordre.
Au sud des voitures de police bloquent toute retraite, au nord des barrières, à l'est des voitures de gendarmes bloquent tout avancement malgré la foule de centaines de milliers de manifestant qui poussent derrière sans savoir ce qu'il y a devant. La tête de cortège ne peut rejoindre la Grande Armée.
J'appelle cela une embuscade. Un traquenard. Avec un tel plan, les gazages étaient inévitables : la foule inconsciente pousse sans savoir ce qu'il se passe, les forces de l'ordre se retrouvent dépassées et les premiers rangs paient. En fait les policiers font leur boulot. Ils sont là pour empêcher d'avancer, et ils le font. Le problème c'est qu'ils ont de mauvais moyens et sont mal très mal placés. Ils sont aussi victime. En fait, qui est victime dans cette situation ? tout le monde.
Fond de carte : OpenStreetMap
Ce qui est très inquiétant, c'est l'impossibilité pour la foule de se disperser en cas de difficulté. Le seul point faible (les barrières) ne mène en fait qu'à une foule encore plus nombreuse. S'il y avait eu un mouvement de panique, il y aurait eu des morts. La bombe de Pierre Bergé n'est pas nécessaire dans ce genre de situation, il aurait seulement suffi de faire basculer le premier domino…
Les manifestants se retrouvent coincés entre la foule et les forces de l'ordre, les forces de l'ordre se retrouvent coincées entre des ordres à respecter et des familles à protéger. Tout le monde est perdant.
Ceux qui ont placé là les policiers ont pris des risques pour les manifestants et pour les policiers, il faudra que la préfecture de police rende des comptes !
Une drôle d'ambiance se dégage… chaque « ooooouuuuuuuh » d'indignation que crie la foule aux CRS suite à un n-ième gazage se voit substitué immédiatement par une Marseillaise puis un « CRS avec nous » scandé plein d'espoir. Et puis recommence le cycle.
En fait cela ne s'est calmé que lorsque l'équipe de sécurité de « La Manif Pour Tous » s'est interposée entre les CRS et les manifestants.
Je tire mon chapeau à l'organisation de « La Manif Pour Tous », ils ont réussi le double défi de mettre au pas une foule incontrôlable et de sortir les forces de l'ordre d'une mauvaise posture qui semblait inextricable !
Les bénévoles de « La Manif Pour Tous » se sont révélés plus efficace que des CRS aux ordres de la préfecture de police.
On remarque que les manifestants sont un peu plus clairsemés. D'une part les gazages ne cessent de faire fuir les manifestants (certains s'en vont même définitivement), d'autre part l'ouverture vers la Grande Armée a allégé la foule en ce point critique.
On voit que les CRS prennent quelques vidéos… Ni le ministre de l'intérieur Manuel Valls ni le préfet de police ne peuvent nier avoir eu connaissance de ces événements.
Remarquez le CRS qui brandit fièrement sa lacrymo devant les caméras des policiers, et les gens qui pleurent.
Cette scène a fait l'objet d'une vidéo :
Cette vidéo peut être également visionnée sur Dailymotion, ou bien téléchargée dans son format original.
Comme je viens de l'écrire une ouverture a été faite vers la Grande Armée. Les barrières qui séparaient l'avenue de la Grande Armée de l'avenue Foch ont sauté sous la double pression des manifestants des deux avenues.
Le risque policier
En plus de cette jonction sous la pression de la foule au nord, on remarque une grande foule à l'est dans une zone non autorisée, derrière les gendarmes, ce sont des personnes qui sont également passées sous la pression de la surpopulation avenue de la grande Armée… Leur nombre semble assez conséquent.
En fait on se rend compte que dans ces rues autour de l'avenue Foch, les forces de l'ordre se sont placées elles-mêmes dans des situations sans issues, faisant reposer leur propre sécurité sur l'organisation de « La Manif Pour Tous » chargée de bloquer les rues trop proches et de diriger les manifestants.
Deux points sur trois ont lâché, l'un d'eux de manière définitive.
Dans l'éventualité d'une vague de violence généralisée avec la complicité de l'organisation de « La Manif Pour Tous », les policiers placés dans ce quartier n'avaient pas grand espoir d'assurer leur sécurité sans faire usage d'arme létale. Lacrymos et matraques sont insuffisantes face à une foule préparée et déterminée ou tout simplement une vague de panique.
Fond de carte : OpenStreetMap
Qui a fait prendre de tels risques à nos policiers et à nos gendarmes ? Les autorités qui ont donné de tels ordres à leur troupes seront-elles sanctionnées ?
On peut remarquer que le nouveau préfet de police M. Bernard Boucault, en poste depuis le 30 mai 2012, est préfet d'une institution pour laquelle il semble ne jamais avoir travaillé auparavant et qu'il n'a pas approché
Contrairement à ses prédécesseurs MM. Pierre Mutz et Michel Gaudin, qui avaient eu pour fonction précédente la direction générale de la gendarmerie nationale pour l'un et la direction générale de la police nationale pour l'autre, le nouveau préfet de police était directeur d'école (ENA). Est-ce suffisant ?
Parqués
Si les forces de polices ne doivent pas se sentir à l'aise, du coté des manifestants, il règne une drôle d'ambiance.
Les manifestants sont parqués. Lors du 13 janvier, ils suivaient un itinéraire, et en marchant apercevaient de temps en temps quelques policiers… Toute personne qui aurait voulu s'écarter de la manifestation le pouvait. Cette fois-ci, non. Les rues étaient barrées par six ou sept véhicules au minimum…
Le 24 mars, les manifestants avaient l'impression d'être un troupeau de bétail dans son enclot de barbelé. Se dégageait une sentiment de frustration mêlé d'injustice. Le mépris pesait sur la foule.
Le 13 janvier, les forces de l'ordre protégeaient la présence des manifestants. Le 24 mars, les forces de l'ordre étaient là pour protéger on ne sait pas quoi de la présence des manifestants.
La manifestation
Mais revenons à la manifestation, du moins ce que nous y avons vu !
Il y avait une ambiance de feu sur scène :
Remarquez que j'ai très peu de photos de l'Avenue de la Grande Armée, n'y ayant pas eu accès. Je n'ai donc pas non plus beaucoup de photos de la scène.
Beaucoup de manifestants s'exclameront ensuite : « nous n'avons pas vécu la même manifestation ».
Plus fort encore, la « Manif Pour Tous » a réussi à maintenir l'ambiance et l'animation durant toute la durée de la manifestation, même dans les rues ouvertes en raison du trop grand nombre de manifestants et qui n'étaient pas équipées de grand écrans ni haut-parleurs pour retransmettre ce qui se passait sur scène :
Ça débordait de monde même dans les avenues prévues pour délester le trop-plein de population :
Les manifestants étaient des personnes de tout âge, beaucoup de jeunes et des familles :
On croisait régulièrement des élus :
Les musulmans étaient plus présent que le 13 janvier :
Les manifestants étaient venus avec leurs drapeaux régionaux ainsi que de nombreux drapeaux Français :
La presse était bien présente là où les manifestants se faisaient gazés sur des lieux autorisés (on s'étonnera du faible traitement de cette information) :
On remarquera que BFM ayant filmé des gazages avenue Foch a commenté la vidéo par la phrase « 15h30 dimanche, des centaines de manifestants tentent de rejoindre les Champs-Élysées ». Ladite vidéo montre clairement le panneau « Avenue Foch ».
La dispersion
À l'heure dite, l'ordre de dispersion a été donné sur les grands écrans. Encore une fois, on voit que la police pressait derrière :
Un mur de CRS prêt à charger si ça traîne…
Un CRS, c'est pas fait pour faire des câlins !
La dispersion s'est passée de manière incroyablement rapide… Ils sont très bien élevés ces manifestants, et l'organisation est impeccable…
En essayant de rejoindre le métro Concorde en passant par les Champs Élysées, je croise un CRS qui dit à son voisin :
Je l'interpelle au passage à cause de cette remarque, nous discutons un peu, et lui me fait remarquer l'efficacité de mon équipement.
Pendant ce temps, les gens retournent chez eux…
Conclusion
Pour ceux qui le souhaitent, voici un montage de mes vidéos prises pendant la manifestation, les scènes se suivent par ordre chronologique sans plus de montage qu'une emphase sur un gazage :
Cette vidéo peut être également visionnée sur Dailymotion ou bien téléchargée dans son format original.
Heureusement pour la police et les manifestants, la manifestation n'a pas dégénéré malgré quelques heurts. On remarque l'efficacité du service de sécurité de « La Manif Pour Tous » qui s'est révélé efficace plus d'une fois, ainsi que les autres services notamment celui d'accueil et d'information.
Du côté de « La Manif Pour Tous », c'est un franc succès, une réussite qui témoigne d'une grande maîtrise.
Le gros point noir de la manifestation se trouve ailleurs…
Des manifestants légitimes se sont retrouvés dans une situation délicate et ont été gazés parce que les forces de l'ordre étaient dépassées par cette situation.
Un nombre considérable de policiers ont du être mobilisés pour protéger les plusieurs kilomètres de rues et avenues qui ne devaient pas voir la manifestation. En cause la mauvaise gestion de la préfecture qui a interdit le lieu à quelques jours de la manifestation, ce qui oblige à protéger à la fois le lieu définitif et celui qui avait été annoncé depuis plusieurs mois.
Aussi, les policiers et les manifestants ont été mis en danger. On pouvait espérer que les différentes institutions responsables (préfecture de police, ministère de l'intérieur) ne faisaient que jouer au bluff tout en maîtrisant la situation silencieusement, mais non, même les forces de police ont été mis en danger par cet amateurisme.
La préfecture de police a pris plus au sérieux deux copains dépassés par le succès de leur pique-nique qu'une manifestation déclarée, transparente et organisée. Il y avait tout pour contrer des pique-niqueurs sauvages, mais rien pour prendre en charge une foule festive et familiale. Il serait bon que le ministre de l'intérieur et le préfet de police déconnectent un instant de facebook et reviennent dans le monde réel.