Posté par Thomas Debesse le 05/10/2024 à 06:00. Licence CC by (copiez-moi !)
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Transcription
Philippine a été inhumée le vendredi 27 septembre 2024. Ce qu’a subi tragiquement Philippine ainsi que son histoire personnelle m’a rappelé un autre drame, celui d’Anne-Lorraine, en 2007, il y a 17 ans. Il y a des points communs dans les deux drames, et des choses différentes. Et si les points communs m’ont rappelé la mémoire d’Anne-Lorraine, ces points communs nous aident dans le discernement, de deux manières. Premièrement, ce qui est commun entre ces deux drames permet de mieux discerner ce qui aurait pu changer, ce qui aurait dû changer, et ce qui n’a pas changé. Deuxièmement, ce qui est commun permet d’isoler plus clairement le reste afin de mieux l’étudier. Cela nous permet d’observer dans une grande clarté que ces différences proviennent du fait que la situation en France s’est considérablement dégradée.
[N’oubliez pas de vivre]
Souvenons-nous d’Anne-Lorraine. C’était en 2007, Anne-Lorraine Schmitt avait 23 ans. issue d’une famille nombreuse de cinq enfants, Anne-Lorraine a grandi dans la foi catholique et le scoutisme chez les Guides et scouts d’Europe, et s’était dirigée vers des études de journalisme. Elle était surveillante à la maison d’éducation de la Légion d’honneur après y avoir été élève elle-même. C’est en quittant cette école pour rentrer chez ses parents que le drame se produit. Thierry Devé-Oglou, l’assassin d’Anne Lorraine était un récidiviste. Il avait violé une autre femme en 1995, Valérie L. Le 25 novembre 2007 dans la matinée, il se retrouve seul avec Anne-Lorraine dans une voiture du RER D. Anne-Lorraine se défend et l’assassin la poignarde de 34 coups de couteaux. Elle est retrouvé une heure plus tard en gare de Creil, agonisante et baignant dans son sang, elle décède de ses blessures.
C’était en 2007. Il y a 17 ans. Je me souviens qu’une messe publique avait été célébrée un soir à l’intention d’Anne-Lorraine, en l’Église Saint Jean-Baptiste de la Salle, à Paris. Je ne connaissais pas Anne-Lorraine mais j’y étais allé. Je sais qu’il y avait également eu une messe de funérailles qui avait rassemblé deux-milles personne à la cathédrale de Senlis. Quand j’ai appris ce que Philippine a subit, je me suis souvenu d’Anne-Lorraine. Et lorsque j’ai été informé de la messe de funérailles de Philippine à la cathédrale Saint Louis à Versailles, j’y suis allé aussi. Je ne connaissais pas non-plus Philippine, mais venir à cette messe est un acte qui ne requiert aucune justification. Entre 2800 et 3000 personnes se sont rassemblées à la messe de funérailles de Philippine.
Funérailles de Philippine Le Noir de Carlan à la Cathédrale Saint Louis de Versailles (license Licence CC by).
La mort d’Anne-Lorraine avait beaucoup marqué les Français et avait relancé le débat sur la récidive. Lorsqu’Anne-Lorraine a été tuée, Philippine avait deux ans. Et la volonté naturelle de chacun était de pouvoir dire à une enfant comme Philippine : je te promets que cela ne t’arrivera pas.
Le général Philippe Schmitt, le père d’Anne-Lorraine, ne connaissait certainement pas Philippine, mais cette promesse il l’avait faite sienne. Philippe Schmitt s’était rapproché de l’Association pour la protection contre les agressions et crimes sexuels ainsi que de l’Institut pour la justice afin de faire avancer ses propositions de durcissement des règles sur la récidive. S’il y a bien quelqu’un qui a fait ce qu’il pouvait pour protéger Philippine pendant ces 17 années, c’est peut-être, sans qu’il ne le sache lui-même, le père d’Anne-Lorraine. Ce combat a trouvé des adversaires dans la justice française elle-même.
En 2013 éclate l’affaire du mur des cons. Dans les locaux du Syndicat de la magistrature était affiché un panneau, le fameux « mur des cons » où étaient épinglés entre autres des parents de victimes. Sur ce mur des cons était affiché le visage de Jean-Pierre Escarfail, président de l’association de victime que je viens de citer et père de Pascale Escarfail, la première victime violée et assassinée par le récidiviste Guy Georges en 1991. Et sur ce mur des cons était aussi affiché le visage de Philippe Schmitt, le père d’Anne-Lorraine. La présidente du Syndicat de la magistrature, Françoise Martres, avait été condamnée pour injure publique. Dans cette affaire honteuse, le Syndicat de la magistrature avait été soutenu par le Syndicat national des journalistes et par certaines personnalité politiques comme Jean-Luc Mélenchon, qui avait inversé l’accusation et tenté de présenter le Syndicat de la magistrature comme étant la victime, dénonçant la révélation du mur des cons comme une « provocation monstrueuse » contre les magistrats. Peut-être ne faut-il pas s’étonner qu’en 2024 au sujet de la mort de Philippine la Syndicat de la magistrature dénonce une « surenchère xénophobe » dans une affaire qui rappelle tant celle d’Anne Lorraine. En 2024 le Syndicat de la magistrature semble plus concerné par les origines de l’assassin présumé de Philippine que par le fait qu’un magistrat ait libéré un criminel en pleine connaissance de sa dangerosité.
Car 17 ans plus tard Philippine s’est faite tuer par un récidiviste libéré par un magistrat qui a écrit en le libérant que c’était une personne dangereuse et qu’il y avait « un risque de réitération de faits délictueux ».
17 ans ! 17 ans pour mettre en place ce qui devait protéger Philippine. 17 ans d’échec, 17 ans de faillite française. Le nouveau ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a dit « C’est à nous, responsables publics, de refuser la fatalité et de faire évoluer notre arsenal juridique, pour protéger les Français », mais ça fait 17 ans de retard ! Ça suffit les promesses ! Cette promesse avait déjà été faite quand Philippine n’avait que deux ans ! Dans ces promesses jamais tenues, Philippine a eu le temps d’avoir eu 19 ans, de se fiancer, et de se faire assassiner par un autre récidiviste !
Le ministre de la Justice Didier Migaud a dit être prêt à « faire évoluer l’arsenal juridique » pour que ce « crime odieux ne puisse pas se reproduire », mais ça c’était déjà la volonté du père d’Anne Lorraine dès 2007, c’était son combat depuis la mort d’Anne-Lorraine, et pour cela il s’était retrouvé épinglé sur le mur des cons du syndicat de la magistrature. Didier Migaud a également déclaré que c’était pour lui « un sentiment d’échec ». Mais ce n’est pas un sentiment, la mort de Philippine est factuelle. Philippine est morte. Philippine n’épousera jamais Thibault. Philippine n’aura jamais d’enfants. Philippine n’emmènera pas ses enfants à l’école. Philippine ne sera pas la tata des enfants de ses frères et sœurs, Philippine ne votera pas aux prochaines élections, et Philippine ne commentera pas la déclaration de Didier Migaud. Philippine est morte. Philippine n’enterrera jamais ses parents, pas parce que ses parents sont immortels, mais parce que Philippine est morte. Didier Migaud avec son « sentiment d’échec » prend la suite d’Éric Dupond-Morreti et son « sentiment d’insécurité ». La mort de Philippine est factuelle. Philippine est morte. L’insécurité est factuelle. L’échec est factuel. La faillite de l’État est factuelle. La mort de Philippine est le produit de 17 années d’échec.
J’interpelle directement ceux qui ont la responsabilité de cet échec, et pardonnez-moi ce trait d’esprit dans des circonstance aussi douloureuses et tragiques, mais 17 ans d’échec ça signifie que dans un an, cet échec, il aura le droit de vote. Votre échec il devient décideur, votre échec décide de notre futur, votre échec décide de la vie de nos proches, de nos parents et de nos enfants.
Ce que nous révèle la comparaison entre le drame d’Anne-Lorraine et celui de Philippine, c’est qu’il y a désormais des circonstances aggravantes dans la faillite de l’État Français à protéger les Français. C’est-à-dire que non-seulement l’État Français a failli à protéger Philippine, mais l’État Français a moins protégé Philippine qu’il n’avait pu protéger Anne-Lorraine.
Philippine Le Noir de Carlan est née dans une famille nombreuse de six enfants. Catholique et engagée dans sa jeunesse chez les Scouts et guides de France, après une scolarité dans le privé catholique elle étudiait l’économie à l’université Paris Dauphine. Comme Anne-Lorraine, Philippine vivait profondément sa foi catholique et son dévouement envers les autres. Vendredi 20 septembre 2024, alors qu’elle devait rentrer au domicile de ses parents, Philippine est absente. Son corps sans vie a été retrouvé le lendemain, samedi 21 septembre, partiellement enterré dans le Bois de Boulogne qu’elle devait traverser pour rentrer chez sa famille. Selon le rapport d’autopsie, Philippine est morte asphyxiée. Le suspect dont l’ADN a été retrouvé sur les lieux du crime serait un homme de nationalité marocaine déjà condamné pour un viol en 2019 à Taverny.
Et c’est là que la comparaison entre Anne-Lorraine et Philippine s’arrête et que la faillite de l’État Français se trouve entachée de circonstances aggravantes. L’assassin d’Anne-Loraine était Français, il vivait chez ses parents et avait un travail. L’assassin d’Anne-Lorraine n’avais purgé qu’un an de sa peine et avait été remis en liberté alors que le risque de récidive avait été évalué à tort comme « peu probable ». Le débat portait alors sur la durée des peines, le suivi des prédateurs sexuels après l’exécution de leur peine pour prévenir la récidive, et le fichage de ceux-ci pour les identifier plus facilement en cas de récidive.
Taha Oualidat, l’assassin présumé de Philippine n’aurait jamais dû croiser son chemin. Tout devait protéger Philippine. Né au Maroc, il était entré en France avec un visa touristique et après expiration de celui-ci il s’était maintenu illégalement sur le territoire. Déjà condamné pour un viol en 2019 il faisait l’objet d’une obligation de quitter le territoire depuis le 18 juin 2024. Le 3 septembre 2024 un juge des libertés et de la détention a décidé de ne pas le maintenir en détention tout en écrivant que « le risque de réitération de faits délictueux, et donc la menace de trouble à l’ordre public ne peut être exclue ». L’homme était assigné à résidence avec obligation de pointage, mesure qu’il n’a pas respectée et que l’État français n’a pas fait respecter.
Là où le risque de récidive de Thierry Devé-Oglou avait été incorrectement sous-évalué, le risque de récidive de Taha Oualidat était correctement évalué mais cela n’a pas empêché la levée de sa détention. Et alors qu’il ne respectait pas son assignation à résidence il n’a pas été arrêté. Alors que le premier résidait légalement en France, le second aurait dû quitter le territoire français dès 2019.
La mort d’Anne-Lorraine avait été le produit d’au moins deux échecs : l’évaluation incorrecte du risque de récidive et le suivi inexistant ou insuffisant du prédateur. Non seulement rien n’a été fait pour que les échecs de 2007 ne se reproduisent pas, mais 17 ans après c’est un mille-feuilles d’échecs qui se sont ajoutés pour conduire à la mort de Philippine.
Il y a peut-être une seule chose qui n’a pas échoué dans la mort de Philippine, ce fut l’identification du suspect. Son ADN a été retrouvé sur les lieux du crime. Le fichage génétique des criminels sexuels était précisément l’un des combats du général Philippe Schmitt, le père d’Anne-Lorraine, ainsi que de Jean-Pierre Escarfail. C’est précisément à cause de ce combat ainsi que de celui contre le laxisme de la justice que ces deux personnes avaient été épinglées sur le mur des cons du Syndicat de la magistrature. Si la mort de Philippine n’a pas pu être empêchée par l’État français défaillant, peut-être le travail du père d’Anne-Lorraine a permis d’empêcher le meurtrier de Philippine de faire d’autres victimes lors de sa cavale en Suisse.
Je terminerai cette vidéo avec une mise en garde. Soyez attentif à ce qui va se dire dans les années qui viennent, car nous ne sommes pas à l’abris de voir l’accusation s’inverser envers Philippine parce qu’elle aurait éventuellement refusé un viol.
Depuis la mort d’Anne Lorraine j’ai vu passer plusieurs publications qui dénonçaient le concept catholique de « martyre de la pureté », défendant le fait qu’une femme qui se refuse à un viol serait la victime d’un patriarcat. L’idée dérangée derrière ce genre d’affirmation est que celui qui refuses le viol se réserverait à quelqu’un d’autre et serait donc victime de la domination de cet autre. On a vu des discours similaires être tenus lors des viols de Cologne en 2016, où certains discours féministes prétendaient que dénoncer le viol de femmes allemandes par des étrangers était raciste, partant du principe qu’une telle dénonciation suppose que ces femmes seraient réservées au viol à d’autres hommes.
La Syndicat de la magistrature parle déjà de xénophobie pour qualifier la dénonciation du meurtre de Philippine par quelqu’un qui n’aurait jamais dû être sur le territoire, comme si le Syndicat de la magistrature ne comprenait pas que ce n’est pas l’origine de la personne qui pose problème, mais que cette personne dépendent d’une autre juridiction, et qu’aucun magistrat français ne devrait avoir à traiter les agissements de cette personne.
Nous ne sommes plus très loin du moment où certaines personnes prétendront que la résistance éventuelle de Philippine à son agresseur serait un acte raciste, comme cela a été dit pour d’autres victimes avant elle.
En 2018 Catherine Millet rejetait la responsabilité de la mort d’Anne-Lorraine sur Anne-Lorraine elle-même, prétendant qu’elle aurait sauvé sa vie si elle avait accepté le viol, cette parole devait servir d’explication à un propos précédent où Catherine Millet avait dit « Je regrette beaucoup de ne pas avoir été violée parce que je pourrais témoigner que du viol on s’en sort ». Je ne sais pas s’il faut commenter… Dans ses propos, Catherine Millet accusait l’éducation catholique d’Anne-Lorraine et prétendait lui donner une leçon de catéchisme posthume. Catherine Millet faisait fi du témoignage de Valérie, première victime de l’assassin d’Anne-Lorraine qui avait déclaré à propos de son violeur qu’elle avait « toujours eu l’intime conviction que le jour où il recommencerait, quoi que la victime fasse, elle n’aurait aucune chance ».
Comme pour Anne-Lorraine, Philippine était la deuxième victime, et le bourreau avait déjà été condamné et savait ce qu’il encourrait. Se servir de l’issue d’un premier crime pour prévoir l’issue d’un second n’a pas de sens, un deuxième acte n’est pas le même qu’un premier, c’est pourquoi la récidive est elle-même une circonstance aggravante qui peut faire doubler la peine.
Comme pour Anne-Lorraine certaines personnes n’hésiteront pas à accuser Philippine d’être responsable de sa propre mort, ou à prétendre que c’est sa foi catholique qui l’a tuée. Certains discours féministes disent déjà que celui qui refuse un viol est responsable de sa propre mort. Certains disent déjà que parce que Philippine est catholique, sa mort n’est pas à plaindre.
Il est également probable que la famille de Philippine soit écartée de la reconstitution comme cela s’était passé pour la famille d’Anne Lorraine.
Entre le moment où j’ai commencé à rédiger cette vidéo et le moment où je la produis, nous avons appris la mort de Kilian, tué à 17 ans d’un coup de couteau près de Bayeux. Ça n’arrête pas. On ne peut déjà plus faire la liste de toutes ces victimes, mais surtout nous sommes tous personnellement affectés par ces drames. Quand on n’a pas été victime ou témoin soi-même d’un tel acte, nous avons tous au moins, dans notre entourage proche, quelqu’un qui a été ne serait-ce que témoin oculaire d’un coup de couteau ou d’un autre acte aussi barbare. Kilian avait 17 ans. Ça fait 17 ans qu’Anne Lorraine a été tuée et que je vois des promesses non tenues. Kilian a été tuée au couteau, comme Thomas, Comme Maurane et Laura, comme Anne-Lorraine. Philippine a été tuée par quelqu’un qui n’aurait jamais dû être sur le sol français, comme Lola, comme le père Olivier Maire. Philippine a été tuée par un récidiviste, comme Anne-Lorraine et Céleste. Et je ne peux pas énumérer toutes les victimes, le temps que je le fasse, d’autres s’ajoutent déjà à la liste, et ce n’est pas une figure de style. 17 ans d’échecs, ce ne sont pas des faits divers, c’est un dysfonctionnement profond et systémique. L’état français est en récidive.
Afin de m’associer au deuil, et là c’est quelque chose de très personnel que je vous propose, et c’est une affaire de foi, je partage avec vous et à destination de Philippine, d’Anne-Lorraine et de toutes les autres victimes la parole que j’ai sur les lèvres à chaque enterrement auquel je participe. Cette parole est tirée du livre d’Ézéchiel au chapitre 16, dans l’Ancien Testament. Ce chapitre est particulier parce que la Trinité toute entière y est manifestée. Cette parole explique pourquoi, alors que le mal promet la mort, la vie triomphe pourtant. Cette parole nous rappelle que nous somme faits pour une vie incarnée, que c’est là que se trouve notre perfection. C’est la parole de résurrection que Dieu prononce à Jérusalem, c’est-à-dire à l’Église et l’humanité toute entière, alors qu’elle est telle un nouveau né, nue, baignant dans son sang à même le sol et abandonnée par ses parents, c’est-à-dire abandonnée par ceux qui ont la responsabilité de sa survie. Vous pouvez y voir là toute la défaillance et l’abandon du système judiciaire, du système médical, et d’autres services défaillants de l’État français qui conduisent à la mort prématurée de nos proches. Et alors que nous sommes tels une enfant abandonnée, alors qu’il semble qu’il n’y a pour l’humanité pas d’autre issue que la mort, Dieu, le Père, passe auprès de cette enfant abandonnée et lui dit : Vis dans ton sang.
Si vous êtes croyant, catholique, que vous croyez donc dans la communion des saints, vous savez que cette parole, vous pouvez la prononcer aujourd’hui : Vis dans ton sang. Quand vous prononcez cette parole avec Dieu, vous êtes non seulement présent, mais vous êtes acteur, participant de la résurrection d’Anne-Lorraine, de Philippine, et de tous ceux que vous pleurez.
Vous serez méprisés, haïs et attaqués pour cette foi.
Mais soyez-y fidèle, priez pour Philippine, et n’oubliez pas de vivre.
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