Posté par Thomas Debesse le 23/04/2013 à 08:06. Licence CC by (copiez-moi !)
Peu après la manifestation du 24 mars 2013 à Paris, la préfecture de Police de Paris a publié 28 images extraites de la vidéo capturée par l'hélicoptère qui a survolé plusieurs fois la manifestation.
Dans le communiqué de presse du 27 mars 2013 (pdf), la préfecture de police précise que, je cite, « elle tient l’intégralité de ces enregistrements à disposition des journalistes intéressés ».
Très vite, plusieurs blogs se sont étonnés de l'infâme qualité des clichés, certains ont mis en doute l'intégrité de ces documents et montré comment les documents originaux étaient, de fait, inaccessibles aux journalistes.
Source : Préfecture de police de Paris
Pendant la manifestation du 21 mars 2013 à Paris, plusieurs articles ont surgis annonçant un démenti. Cependant, le démenti n'est pour le moment qu'un communiqué de presse et la parole de l'AFP…
Juste après, Le Figaro.fr reprend le sujet, s'appuyant entre autre sur la vidéo TProd.
La situation actuelle, c'est doute contre parole… du blabla, en somme…
Et si moi aussi je m'approchais de ces étranges photos pour les étudier ?
Format binaire
L'image est en PNG, c'est un format de compression sans pertes. L'utilisation de ce format ne révèle rien de l'intégrité des images. Le choix de ce format s'explique facilement par la présence d'une légende « Préfecture de police » sur chaque photo. Une fois cette légende ajoutée, les images ont été exportées sans perte en PNG pour conserver la qualité de la légende.
En quête d'artefacts
Les images sont très dégradées, ayant subie une compression avec perte très agressive.
Il suffit de zoomer quelque peu pour voir de grands carrés et de grandes tâches de couleur, artefacts symptomatiques d'une compression destructrice :
Source : Préfecture de police de Paris
Nous constatons que c'est l'image finale qui contient les artefacts, et que les entrelacements que nous étudierons plus tard semblent dégradés. Cette altération a été faite après entrelacement, bien que les fichiers aient été fournis dans un format sans perte au final.
Malgré la compression nous reconnaissons toujours l'entrelacement mais pas partout, ce qui peut traduire la présence de parties non entrelacées dans l'image entrelacée, avant compression.
Entrelacements
Observez cette image :
Source : Préfecture de police de Paris
L'image semble complètement striée horizontalement. Elle l'est en effet, on appelle cela un entrelacement.
Qu'est ce que l'entrelacement ? Les caméras capturent en général plus d'images qu'elles n'en enregistrent. Par exemple certaines capturent 50 images par secondes mais n'écrivent que 25 images par secondes… Cette image enregistrée une fois sur deux est appelée frame et contient en fait les deux images.
Observons cette frame tirée de la vidéo qui a servi à l'Avis de recherche :
Cette image est floue, et si nous regardons une partie à l'échelle 1:1, nous apercevons le même effet de stries horizontales :
Si nous lissons la frame en une seule image, nous n'obtenons qu'une image floue :
Si nous désentrelaçons, nous obtenons deux images, beaucoup plus nettes : nous pouvons reconnaître les visages de Marie et Cyprien, nous pouvons même distinguer les deux lettres « Po » du mot « Police » sur le brassard.
Il parait évident que les images ont été réduites (cela sera même vérifié ensuite), puisqu'il serait étonnant que la police ne possède pas un matériel capable de capturer des images avec une définition supérieure à 750 par 502 pixels !
Ce qui est étonnant, c'est que si les images sont entrelacées. elles le soient dans cette définition réduite. Normalement ce sont les images en sortie de caméras qui sont sensées être entrelacées, pas leur réductions…
Cet entrelacement là n'est pas normal, ce n'est certainement pas l'entrelacement de la caméra originale…
Combien d'images
En fait, la préfecture de police de Paris ne fournit donc pas 28 images de 750 par 502 pixels, mais 28 frames, soit 56 images de moitié moins de pixels de hauteur.
Parce que chacune de ces images est un quasi doublon de l'autre (la différence n'a pas d'intérêt pour nous), il apparaît donc que la préfecture de police de Paris ne fournit que 28 images « utiles » de seulement 750 par 251 pixels ! Ces images ont une définition utile inférieure à 0.2 Mégapixels !
Mais revenons à nos photos fournies par la préfecture de police de Paris, nous allons les désentrelacer !
Le doute de la croix
Observez la croix centrale en surimpression, avec le carré autour. On voit nettement que les traits blancs sont entrelacées ils sont doublés :
Source : Préfecture de police de Paris
Voici les deux images extraites de cette frame :
Cet entrelacement là n'est pas normal, ce n'est certainement pas l'entrelacement de la caméra originale, encore une fois…
Ces informations en surimpression ne devraient pas être entrelacées si la surimpression est faite en sortie de caméra, et quand bien même la caméra surimprimerait entre le capteur et l'enregistrement, l'entrelacement devrait être peu visible étant donné que ces motifs ne bougent pas en même temps que l'objet filmé, ces motifs sont toujours fixes par rapport à l'objectif de la caméra !
Quand l'Arc de Triomphe vacille
Nous allons étudier la frame qui nous montre la place de l'Étoile avec l'Arc de Triomphe au centre :
Source : Préfecture de police de Paris
Nous désentrelaçons cette frame pour en extraire deux images :
Attardons-nous sur une des images désentrelacées :
Agrandissons un peu :
Notez l'instabilité qui semble affecter l'Arc de Triomphe ! Il fait des vagues !
Nous retrouvons le même effet sur plusieurs frames, par exemple avenue Foch :
Observons de près ces immeubles, sur une des frames désentrelacée :
Nous allons comparer avec notre vidéo de nos policiers en civil…
Avec une interpolation cubique, lorsque la définition de la frame est divisée par un multiple paire, nous obtenons une image floue mélangeant les deux images :
Avec une interpolation cubique, lorsque la définition de la frame est divisée par un multiple impaire (la parité ne peut être garantie en cas de conversion analogique), l'image résultante ressemble à cela :
Et oui, c'est à cela que ressemble une frame entrelacée lorsque sa définition est réduite… Nous constatons que lorsque nous désentrelaçons les images de la préfecture de police de Paris, nous obtenons une réduction de frame entrelacée !
Ce qui est étonnant, c'est que chaque frame aie été ré-entrelacée après réduction de la définition. Chaque image a subi deux entrelacements, et la réduction a eu lieu entre ces deux entrelacements.
Mais pourquoi un second entrelacement ? Il ne peut y avoir un second entrelacement que si les images ont fait l'objet d'une seconde capture, la vidéo a été recapturée.
Un format d'image étonnant mais pas si méconnu
Le format est étonnant, 740x502 pixels… Cette définition est inconnue, mais le rapport ne l'est pas ! 740x502 pixels, c'est un rapport de 1.5, soit 3/2.
3/2 c'est le rapport des écrans de télévision.
Non seulement la vidéo a été recapturée, mais avec un format de télévision, probablement en bouclant une sortie TV de carte graphique en entrée de carte d'acquisition TV…
C'est à dire que nous n'avons que des copies réduites et dégradées d'un très mauvais Cam…
Une somme de dégradations
Il est très difficile de dissimuler numériquement une retouche photo, le plus simple étant de dégrader l'image afin de ne pas laisser trop d'informations, au cas où quelqu'un voudrait la tordre dans tout les sens.
Voici plusieurs méthodes naïves de dégradations pouvant dissimuler une retouche :
- réduire la définition (nombre de pixels en largeur et en hauteur). En diminuant la surface étudiée, l'analyse est rendue plus difficile. Bonus : les algorithmes d'interpolations utilisés lors d'une réduction de la définition vont lisser l'image, ce qui va détruire encore un peu plus les marques d'une retouche.
- (re)compresser avec perte. Les algorithmes de compression d'image les plus efficaces en terme d'économie de mémoire compressent avec pertes, c'est à dire que le logiciel sacrifie la qualité au bénéfice du poids du fichier final. L'idée derrière ces algorithmes est que contrairement à un ordinateur, l'œil ne sait pas détecter certaines imperfections que l'on peut se permettre afin de simplifier l'image et gagner de la place. La conclusion inverse est donc qu'après compression avec pertes, ce que l'œil ne savait discerner, l'ordinateur ne le saura pas non plus : le détail n'existe plus, il n'a pas été enregistré.
- convertir le signal numérique en signal analogique et le capturer à nouveau. C'est le plus efficace. Un signal numérique est codé en nombres entiers, et la quantité de ces nombres est finie et connue. Une copie numérique est donc parfaitement identique à l'original, il suffit de recopier les nombres. Un signal analogique tente de reproduire une variation (de couleur, de luminosité par exemple)… Une variation est un nombre réel et il en existe une infinité… Par définition, une copie analogique n'est qu'une approximation de l'original. Ainsi, en capturant de manière analogique une source numérique, on obtient une approximation de la source, ce qui empêche donc d'étudier avec précision les retouches : s'il y avait des retouches, nous ne pourrions pas les constater, nous ne pourrions que constater des approximations de retouches…
Il semble que la préfecture de police a employé ces trois méthodes de dégradations.
Voici le probable chemin qu'a parcouru chaque cliché :
- cliché entrelacé issu de la caméra → [1] → réduction → conversion numérique-analogique (avec entrelacement et réduction de résolution) → capture analogique → conversion analogique-numérique → compression avec perte → ajout d'une légende → enregistrement sans perte
S'il y a eu retouche le meilleur moment pour dissimuler la retouche est de la faire en [1].
Le passage par une recapture analogique est fort probable, le réentrelacement, lui est certain. Ces images sont des arrêts sur image d'une vidéo entrelacée et encodée deux fois, avec redimensionnement entre les codages.
Cela pourrait aussi être un mauvais arrêt sur image d'un très mauvais DVD recodé à partir de la source d'origine avec un redimensionnement et une qualité de codage faisant preuve d'un travail d'une inavouable médiocrité.
La mauvaise qualité de ces images pourraient permettre à la préfecture de soutenir cette autre hypothèse afin de se blanchir d'une accusation de falsification, à condition de se reconnaître inapte à traiter convenablement des images d'intérêt national.
On ne peut peut-être pas prouver que ces photos aie été retouchées, ces images sont probablement trop dégradées pour cela. De même, on ne peut pas non plus compter, ces images sont trop dégradées pour cela…
Pas besoin de théorie du complot, il y a une vérité factuelle : ces images sont impropres à tout comptage.
Si l'on ne peut compter des arbres, peut-on compter des hommes ?
Le nombre donné par la préfecture de Police ne peut être revu ni à la hausse, ni à la baisse. Ce nombre ne peut être contredit, ni confirmé.
Comptez !
Toi aussi #comptecommelapolice :
Source : Préfecture de police de Paris
ou pas…