Le péché de la maternité au tribunal du marché


Posté par Thomas Debesse le 29/07/2020 à 23:35. cc Licence CC 0 (copiez-moi !)

La femme dont le péché était la maternité
Charlie Chaplin, The Kid, La femme dont le péché était la maternité (1921)

Je redécouvre un billet que j’avais écrit en 2013 (mais non-publié ici), et que je choisis de republier. Il est court, alors avant de déveloper un peu plus le sujet, je le cite intégralement :

Charlie Chaplin commence son film « The Kid », sorti en 1921, par cette phrase : « the woman whose sin was motherhood », « la femme dont le péché était la maternité ». Avec beaucoup de finesse, Charlie Chaplin n’écrit pas que la femme est mère parce qu’elle a péché, mais que sa maternité est péché.

Il ne décrit pas le jugement moral que porte la société sur les raisons de la maternité, mais sur la maternité en elle-même. Charlie Chaplin, en 1921, avait tristement vu juste.

En 2013, après une révolution sexuelle tous azimut, on pourrait croire que la notion de péché n’existe plus, enterrée… Et pourtant, il y a bien un péché que la société ne pardonne pas : la maternité.

92 années après « The Kid », la maternité est toujours un péché. Certains voient la maternité comme une maladie qu’on peut traiter et dont le traitement peut être remboursé. Mais plus qu’une maladie, la maternité est considérée, dans notre société, comme un péché.

Peu importe les raisons de sa maternité, le péché de la femme, c’est sa maternité. Il faut que la femme renonce à ce péché pour être libre. Et si la femme persévère dans sa maternité, ce péché devient un vice, et un péché mortel.

Charlie Chaplin était un visionnaire… malheureusement pour nous.

Notre société vit un drôle de puritanisme.

Le soin et l’attention appropriée

À table
Chalie Chaplin, The Kid, Une assiette pleine, du sel, cet enfant ne manque de rien ! (1921)

Sept ans plus tard, je redécouvre à l’occasion comment certains thèmes traités par Charlie Chaplin se reflètent dans notre société contemporaine, à commencer par le placement abusif d’enfant au nom d’un prétendu « bien supérieur de l’enfant » vidé de son sens et détourné du bien lui-même. Ce thème est au cœur de l’intrigue du film et est donc abordé plus frontalement.

Avec une antiphrase tissée d’une douce ironie, Charlie Chaplin écrit à propos de la délégation de l’orphelinat « The proper care and attention », c’est-à-dire « Le soin et l’attention appropriés », et nous présente un homme qui prétend ne pas s’abaisser à parler directement à celui qui apporte jour après jour le soin et l’attention à l’enfant.

En janvier dernier nous pouvions lire dans l’hebdomadaire Marianne au sujet de la « présomption de la culpabilité » : « le risque est de s’enfermer dans une interprétation postulant d’avance la dangerosité des parents ». Ce sujet est régulièrement mis sur le devant de la scène par les gilets jaune, et le croquis de Charlie Chaplin d’il y a bientôt 100 ans est toujours aussi incisif, et actuel.

C’est trop tard désormais

J’ai re-regardé le film à l’instant. Ce film étant entré dans le domaine public, j’ai trouvé deux versions, une en très bonne qualité (restauration de 2015¹) qui est semble reprendre le montage que j’avais revu en 2013 et qui serait une réédition de 1972, et une autre version (en moins bonne qualité) mais qui serait donc le montage originel et contient quelques scènes en plus. Cette version est peut-être celle que j’avais vue la première fois, il y a plus de 20 ans maintenant.

Dans l’une de ces scènes originelles, alors que Le passé laisse la place aux Regrets, une phrase est prononcée, incomplète « How I can atone the suffering I’ve — », « Comment je peux expier la souffrance que j’ai — ». Cette phrase est interrompue par une autre, suspendue elle aussi : « It’s too late now, unless the child — », « C’est trop tard désormais, à moins que l’enfant — »…

Bouleversement
Chalie Chaplin, The Kid, Bouleversement (1921)

Sur le même thème, une autre scène montre la femme éprouver l’absence de son enfant, qu’un autre enfant surprend, ébranle et creuse plus profondément. Alors elle crie deux fois, dans le silence du film muet « my baby, my baby », « mon bébé, mon bébé ». Celles et ceux qui se surprennent à tenter de reconnaître parmi les enfants qu’ils croisent un enfant qu’ils n’ont peut-être jamais vu sauront quelle détresse Charlie Chaplin met à nu : au « péché de la maternité » notre monde ne propose désormais qu’un « c’est trop tard désormais », sans l’espoir d’un « à moins que ».

Et pour la femme contemporaine qui met tout de même au monde son enfant, si elle vient à réclamer de l’aide il lui est reproché qu’elle avait toute liberté et tout moyen pour ne pas le garder, qu’elle est donc pleinement responsable de sa détresse et qu’elle ne mérite pas d’être aidée.

Le nouveau péché de la maternité

Martyr
Charlie Chaplin, The Kid, Martyr (1921)

Absente dans le montage de 1972, une scène montrait encore la jeune mère croiser la sortie d’un mariage où l’on voyait une jeune mariée au regard absent et paraissant peu enjouée d’avoir donné son consentement à un homme visiblement plus agé et probablement riche. Alors qu’un vitrail auréole fortuitement la première, l’homme piétine les fleurs de la seconde après avoir reçu les félicitations du curé…

Chaplin opposait une maternité présentée comme un péché et une maternité que l’argent ou la réputation peut se payer avec la bénédiction hypocrite de l’autorité morale. Un siècle plus tard une nouvelle autorité morale voudrait que les moyens techniques permettent de se payer une autre maternité autorisée.

En 2021, nous fêterons le centenaire de « The Kid ». Techniquement le tournage se serait terminé le 30 juillet 1920, il y a tout juste un an. J’aurai pu attendre quelques mois pour publier ce billet au profit du calendrier, mais alors que le gouvernement Castex nous ressort le dossier bioéthique en précipitation pendant l’été, je me rends compte que la phrase de Charlie Chaplin « la femme dont le péché était la maternité » pourrait prendre un sens nouveau.

La maternité pourrait prendre la forme d’un nouveau péché : le péché de réaliser ce qui est réservé à une mécanique, à un marché.


¹ Une restauration visant à reproduire fidèlement une œuvre entrée dans le domaine public sans apporter aucune originalité n’est probablement pas concernée par le droit d’auteur de la même manière qu’une photographie visant à reproduire fidèlement un tableau entré dans le domaine public n’est pas concerné par le droit d’auteur car n’apportant aucun élément original.


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Lecture conseillée : La femme dont le péché était la maternité.

Étiquette : Avortement, Cinéma, Maternité, Placement d enfant.

Rétroliens : The Kid 100 ans et nous.