Posté par Thomas Debesse le 23/05/2013 à 23:57. Licence CC by (copiez-moi !)
Une collaboration illwieckz & loulou.
Ce document porte sur le droit à l’image des personnes et non sur le droit à l’image des biens. Il donne les fondements légaux, jurisprudentiels, et autres exemples. Une dernière partie traitera de bonne pratiques pour couvrir sa publication afin qu'elle soit la plus efficace possible.
Du droit à publier une photographie
Il faut bien considérer deux choses, le droit à publier et le droit à capter. Si le droit à l'image concerne en partie la captation, la majorité de la littérature concerne la publication. Le droit de publication est plus restreint que celui de captation (il est possible de capturer des images qui ne pourront pas être publiées).
Fondements légaux du droit à l’image des personnes
- Article 9 du code civil (le plus important) : « Chacun a droit au respect de sa vie privée. »
- Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (lire le texte intégral) :
Fondements jurisprudentiels du droit à l’image des personnes
En 1971, se fondant sur l’article 9 du Code civil, la Cour de cassation pose le principe selon lequel « toute personne a droit au respect de son image ».
Ce droit s’applique quel que soit le support utilisé, les fins poursuivies… Mais pour que ce principe s’applique :
- Il faut que la personne soit identifiable. L’identification ne concerne pas que le visage, il peut s’agir d’une silhouette, d’un tatouage, d’une cicatrice…
- Il faut que l’image révèle un élément de la vie privée.
Exceptions au principe
- « le droit à l’information » (Cass. civ. 1ère, 15 juin 1994, pourvoi n° 92-16.471), qui concerne l’actualité judiciaire en particulier. Un commandant de police n’a pas pu s’opposer à la diffusion de la photo prise lors des constatations d’usage qu’il effectuait après l’attaque d’une banque, cette image ayant été reconnue comme une illustration nécessaire et pertinente de l’article qui en faisait le récit (Cass., 5 juillet 2005). Le lien de l’image à l’actualité suppose que celle-ci ne soit pas publiée hors contexte. Le délai entre l’événement et la publication doit être court ; néanmoins il peut être jugé que certaines images appartiennent à l’histoire (Chambre d’Appel de Versailles, 14 mars 2001 - Cass., 13 novembre 2003). La personne photographiée ou filmée doit être impliquée dans l’événement relaté, et les commentaires ne doivent pas modifier la perception de l’image la représentant.
- L’illustration d’un sujet ou d’un débat démocratique général. Ainsi furent jugées licites les photographies d’anonymes dans le métro, qui servirent d’illustrations dans un livre de sociologie (TGI, Paris, 2 juin 2004, Légipresse 2004, I, 99). (Il avait de plus été considéré par les juges que le préjudice était inexistant parce que les portraits des personnes « ne les montraient pas dans une situation dégradante ».) De la même manière, la couverture d’un livre de François-Marie Banier reproduisant le portrait de deux femmes majeures placées sous tutelle a été autorisée : les juges ont statué que l’auteur « cherchait à dresser un portrait du monde actuel […] avec ses souffrances » (Chambre d’Appel de Paris, 9 mai & 25 juin 2007).
- Les images de personnalités publiques saisies dans l’exercice de leurs fonctions. Plus globalement, le statut de personne publique suppose une réduction de « l’ampleur de la sphère privée ».
- Les images de personnes participant à des faits publics importants (manifestations diverses, événements historiques, etc.) constituent une autre dérogation, sauf dans le cas où un recadrage a eu lieu pour isoler la personne (Cour d’Appel de Paris, 11 juillet 1987), ou bien si cette dernière est signalée par un dispositif quelconque, flèche, rond l’entourant, etc. (Cass. civ. 1ère, 12 décembre 2000). Toutefois ce principe n’est pas absolu : la publication d’une photographie d’une personne participant à une manifestation publique a été sanctionnée par le Tribunal de Grande Instance de Paris (4 juillet 1984) parce que celle-ci a révélé l’homosexualité de cet homme à ses proches, et dans la mesure où la photo en question n’entretenait aucun lien avec l’actualité immédiate.
- La visée artistique de l’image peut constituer également une exception (Affaire François-Marie Banier)
Selon les principes, la licéité de la publication ne peut résulter que de l’accord certain, spécial, de l’adulte concerné ou des parents titulaires de l’autorité dans le cas d’un mineur. Néanmoins, à lire la jurisprudence, il n’est pas toujours clair que le consentement de la personne (ou de ses parents pour un mineur, en conséquence de l’article 371 du Code civil) soit nécessaire pour la diffusion de l’image, dès lors qu’elle illustre un débat d’intérêt général ou une question d’actualité, sauf dans les cas où la vie privée est en cause. Ainsi l’image d’un homme endormi sur une table de discothèque utilisée par France 2 dans un sujet sur les dangers de l’alcool au volant fut condamnée, parce qu’elle touchait à la vie privée (Cass. civ. 1ère, 21 février 2006,Légipresse 2006, III). Au contraire la photographie d’un mineur mort dans un accident de la route et couvert de sang sur un brancard fut autorisée, car elle était justifiée par « le libre choix des illustrations d’un débat général de phénomène de société » (Cass. civ. 2ème, 4 novembre 2004, JCPG 2004, 10186), source.
En supplément, un document fiable à lire : L'essentiel du droit à l'image
De droit à photographier
Le droit à l'image s'applique surtout à la publication, étudions ce qui concerne la captation.
Au sujet de la captation on trouve cela :
- Article 226-1 du Code pénal : réprime le fait de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui : « En captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel ; En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. »
Peut-on filmer ou photographier des personnes dans un lieu public ? Synthèse et exemple
Synthèse claire et complète
Voir la synthèse de maître Anthony Bem.
L’essentiel de cette synthèse :
- En vertu du droit au respect de la vie privée (article 9 du code civil), les juges ont créé le droit à l'image (autre droit !) afin de permettre à une personne, célèbre ou non, de s'opposer à la captation, la fixation ou à la diffusion de son image, sans son autorisation expresse et préalable.
- Le consentement de la personne à être photographiée est différent de son autorisation à diffuser son image (il faut les deux).
- La diffusion de l'image d'une personne au sein d’un groupe ou dans un lieu public est permise à moins que celle-ci ait été individualisée.
- On peut être autorisé à diffuser l’image d’une personne mais on ne peut pas être titulaire de son droit à l’image.
- Une autorisation est a priori nécessaire quel que soit le lieu, public ou privé, dans lequel la personne a été prise en photographie ou filmée.
Exceptions à la nécessité d’une autorisation :
- L'image non cadrée d’une personne prise dans un public.
- Le droit à l’information lorsque la photographie illustre :
- un sujet ou d’un débat démocratique général (TGI, Paris, 2 juin 2004),
- un sujet historique (Cass. civ. 1ère, 12 décembre 2000),
- un « débat général de phénomène de société » (Cass. civ. 2ème, 4 novembre 2004).
- les fonctions d’une personnalité publique
Recours et sanctions en cas de violation du droit à l’image : voir l’article.
Exemple
Combinaison du droit à l’image avec la liberté d’expression :
- Le fait d’actualité
Au titre des décisions validant des photos faites sans autorisation au nom du droit à l’information du public, citons (…) la photo d’un policier qui, dans l’exercice de ses fonctions, accompagnait un groupe de personnes placées en garde à vue (civ. 1ère 25 janvier 2000). source
Photographie des forces de l'ordre en mission
Il est commun de voir des policiers s'opposer à être filmés en invoquant le droit à l'image. D'une part le droit à l'image concerne la publication, d'autre part, il n'est pas interdit de filmer les forces de l'ordre en mission.
Nous citerons la Saisine n°2005-29 de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité :
Protéger et permettre sa publication
Nous rentrons ici dans le domaine du droit d'auteur.
Par défaut, le droit d'auteur est valable en France 70 ans après la mort de l'auteur. Dans les principes du droit d'auteur, tout ce qui n'est pas autorisé est en général interdit. Ainsi, tout document publié trouvé sur Internet ne peut légalement être réutilisé que si l'autorisation a été explicitement obtenue.
Le droit d'auteur français permet de céder la quasi-totalité de ses droits, à l'exception du droit moral. Le droit moral consiste pour l'auteur au droit au « respect de son nom, de sa qualité, de son œuvre » (Art. L. 121-1 CPI8). En clair, il n'est pas légal de dissocier l'œuvre de son auteur. Une photographie sans auteur est inexploitable.
Ainsi, une fois que l'image est capturée et qu'elle peut être publiée, il importe d'encadrer sa publication afin quelle serve… C'est pas tout d'avoir le droit de photographier et de publier si la photo ne peut être exploitée.
Sur Internet, tout est copie. Toute lecture est une copie. Il convient donc d'autoriser la copie, autrement la photo est inutile. Le droit d'auteur stricte est donc peu utile s'il ne sert pas à donner des autorisations.
Il faut donc donner des droits. Heureusement, contrairement à certaines pratiques malheureusement trop communes, il n'est pas nécessaire de céder ses droits, on peut simplement les conférer. C'est à dire qu'il est possible de transmettre des droits à quelqu'un sans perdre les siens. Il est légalement possible d'autoriser la copie, la modification et la redistribution à quelqu'un sans pour autant perdre pour soi-même ces mêmes droits.
Il est commun de couvrir ses œuvres sous des licences. Ce sont des contrats juridiques qui définissent les droits et conditions.
À titre d'exemple, l'encyclopédie Wikipédia est couverte par la licence Creative Commons Attribution Partage dans les Mêmes Conditions, c'est à dire que toute réutilisation et même modification est permise à condition de publier sous les mêmes conditions (forme de réciprocité), condition généralement appelée Copyleft.
Autre exemple, mes articles et photos sont habituellement publiés sous licence Creative Commons Attribution, ce qui signifie que toute autorisation est donnée (à l'exception de retirer ma paternité comme auteur, ce que je ne peux légalement pas faire moi non-plus).
Les licences Creative Commons sont variées, certaines interdisent la modification par exemple. Cependant, les licences sont dites libres si, entre autre, elle permettent la réutilisation dans tous les usages et la modification. Autrement dit, les licences qui ne permettent pas un usage commercial ne sont pas libres (elles ne permettent pas tous les usages), les licences qui interdisent la modification ne sont pas non-plus considérées comme des licences libres.
Il existe d'autres licences comme la licence Art Libre qui est une licence avec Copyleft. L'utilisation d'une licence libre n'est pas obligatoire, mais si votre but est d'être le plus largement publié, la plus permissive des licences est à préférer. Moins la licence sera permissive et plus vous prenez le risque qu'un cas particulier empêche la publication de votre photo.
Si le but premier est de nourrir l'information, préférez une licence permissive, très permissive. Un avantage évident est que vous permettez aux personnes qui exploiteront votre travail de le faire dans la légalité.
Le mauvais exemple : énormément de montages vidéos publiés sur certaines plate-formes d'hébergement grand-public sont composées de plusieurs sources différentes et sont strictement illégales. Il aurait pourtant simplement fallu que chacun des auteurs des vidéos originales aient spécifié une licence permissive pour que le remixeur travaille dans la légalité, et que celui qui visionne le montage final soit également dans la légalité.
Le bon exemple : plusieurs sites ont illustré leurs articles avec mes photos : ils n'ont pas eu besoin d'attendre ma réponse. Aussi, une personne que je ne connais pas à ajouté certaines de mes photos dans la médiathèque de Wikipédia, ces photos pourront illustrer des articles Wikipédia. J'ai donné le droit et donc rendu possible ce que d'autres font.
D'autre part, publier sous licence libre dissocie la fécondité de votre œuvre de votre propre personne et de votre propre vie : sans licence libre, vous vous placez en obstacle à toute réutilisation (il faut pouvoir vous contacter et attendre votre avis systématiquement).
Conclusion
- S'il s'agit de couvrir une manifestation publique afin d'informer, le droit à l'image peut être difficilement invoqué pour empêcher la publication (liberté d'expression, droit à l'information, fait public important…).
- La capture est généralement permise. Il est bon à savoir que si la publication pourrait éventuellement se révéler impossible, cela n'empêche pas nécessairement de prendre la photo. Le droit à l'image s'applique surtout une fois que la photo est prise. Si la publication nécessitera autorisation ou exceptions du droit à l'image, la capture ne peut vraiment être empêchée qu'en cas de refus exprimé.
- La capture ne doit pas être secrète.
- Il est permis de photographier ou filmer les forces de l'ordre en mission, il est même recommandé aux forces de l'ordre de ne pas s'y opposer.
- Il est plus qu'utile, voire nécessaire, de publier son travail photographique accompagné de son contrat d'utilisation. L'absence de contrat signifie la stérilité de l'œuvre ou bien l'illégalité de celui qui l'exploite. Une photographie dont l'auteur est inconnu et dont les autorisations d'exploitation ne sont pas conférées est inutilisable. Une licence libre est fortement recommandée.
Ce n'est pas tout de faire de belles photos et d'en avoir le droit, il faut encore qu'elles puissent servir, légalement.