Posté par Thomas Debesse le 12/01/2014 à 18:54. Licence CC by (copiez-moi !)
Une lectrice m’a fait remarquer que le philosophe Martin Steffens signe une étonnante chronique dans l’actuel Famille Chrétienne (n° 1878, du 11 au 17 janvier 2014, p. 19) , titrée « Stériles profanations », et que je vous invite à lire.
Un bébé nu et vagissant
Martin Steffens écrit sa chronique suite à une profanation perpétrée par une femen à la messe de minuit à Cologne. La ressemblance avec mon article « Mother with son » est troublante !
Martin Steffens : un bébé nu et vagissant, et qui pourtant est Dieu
Thomas Debesse : la nudité d’un Dieu nouveau-né
Martin Steffens : ne savent-elles pas que Dieu les dépasse en tout, même en provocation ?
Thomas Debesse : [Elles] doivent être jalouses, elles sont en retard de deux millénaire
Martin Steffens : l’enfant dans la crèche […] est plus charnel que sa nudité
Thomas Debesse : la nudité n’est pas d’abord [celle] instrumentalisée […] mais la nudité d’un mystère qui transcende l’humanité
Martin Steffens : l’Église ne saurait être salie par ces profanations […] elle est trop peu bourgeoise pour cela
Thomas Debesse : La nudité tient une place inévitable dans l’ancien et le nouveau testament, elle est au cœur de l’histoire du peuple élu et au cœur du mystère de l’incarnation et de la rédemption
Martin Steffens : saint François n’est-il pas sorti nu du procès qui l’opposait à son père ?
Thomas Debesse : Suivre nu le Christ nu […] jusqu’à François d’Assise qui exprima sa conversion par une dénudation complète
Cependant Martin Steffens n’aborde pas le sujet de la vocation spirituelle de la sage-femme, qui est le sujet central de mon article. À la place, il évoque un mystère que je voulais traiter et que j’ai omis malgré moi (c’est que mon texte était déjà long), le mystère du cri du nouveau né…
Martin Steffens écrit donc ces mots :
Le premier cri
Je pourrais écrire beaucoup, mais plutôt que rajouter encore et encore de nombreux paragraphes, je vous invite tout simplement à visionner un magnifique film sur ce sujet : Le premier cri.
C’est un film qui nous fait accompagner dix femmes, dix accouchements à travers le monde. De la femme occidentale qui doit apprendre à accoucher parce que la modernité a inhibé ses réflexes instinctifs et naturels, à l’intouchable qui donne naissance à l’intouchable.
Courte citation du film « Le premier cri » de Gilles de Maistre, tous droits réservés, cette illustration n’est pas libre.
J’ai puisé dans ce film mon inspiration pour exprimer le cri de Jérusalem ainsi que la corporalité du désert dans mon tableau « Comme au jour de ta naissance ».
Voici l'homme
Martin Steffens rappelle enfin une parole de Juan Donoso Cortès :
Vous vous rappelez peut-être du billet de Fikmonskov sur le rapport qu'entretiennent les femen avec le sacré. Les féministes sont partagées sur le sens du sacré. Certaines désignent par ces mots leur provocations. D'autres excluent ce concept.
Pour les femen, l'avortement est sacré, leur local est sacré, mais elles désacralisent la femme qu'elles disent défendre, et la maternité n'est exprimée que sous forme de rejet.
À l'opposé, sous couvert de féminisme, l'initiatrice du « Nude photo revolutionary calendar » Mariam Namazie écrit « nothing is sacred », ce faisant elle opprime également la femme. Le langage est contradictoire, mais la fin est partagée.
Mais qu'est ce donc que le « sacré » ?
Le sacré n'est pas l'interdit. La notion d'interdit peut désigner à la fois ce qui est pur, et ce qui est impur. Issu du polynésien, le mot « tabou » désigne aussi bien l'interdit religieux que ce qui n'est pas convenable. Le mot arabe « haram », désigne à la fois ce qui est saint et pur (interdit à l'impur), et ce qui est impur (interdit au pur). La Mecque est haram (sainte), et le cochon est haram (impur).
Le sacré n'est pas nécessairement tabou, le sacré n'est pas nécessairement haram. Ce qui est sacré peut être interdit et inaccessible, mais ce qui est sacré peut être accessible, et le sacré peut inviter.
Le sacré n'est pas l'interdit, le sacré est ce que l'on extrait de l'ordinaire (le prophane) pour le présenter à la contemplation. Est sacré est ce que l'on contemple.
Lorsqu'une femen proclame que l'avortement est sacré, elle révèle son objet de contemplation. Lorsque Mariam Namazie proclame que rien n'est sacré, elle révèle qu'elle ne contemple rien, et si j'écris que la parturiente est sacrée, vous savez ce que je contemple.
Le christianisme n'a pas aboli le sacré, il a rendu accessible ce qui était sacré. Dieu, celui qu'on ne pouvait nommer, celui qu'on ne pouvait représenter, s'est fait homme pour être nommé, contemplé, imité et représenté. Si l'on confond l'inaccessible et le sacré, la plus violente des profanations a lieu lorsque Dieu s'incarne, et avec une telle comparaison, les femen sont condamnées à la médiocrité. Mais le sacré n'est pas l'interdit, est sacré ce que l'on contemple.
Lorsque l'athée Greta Christina, au mois d'août du « Nude photo revolutionnary calendar » écrit « I own my body. No, strike that. I am my body. An no-one claiming to speak for a non-existent god has the right to tell how to display it » - « Mon corps m'appartient. Non, efface. Je suis mon corps. Celui qui revendique parler au nom d'une divinité a le droit de dire comment l'exposer», elle ne se rend pas compte qu'elle professe un profond acte de foi chrétien, et surtout, eucharistique.
Avec une telle parole, il est un Dieu qu'elle ne peut ignorer, celui qui n'a pas dit « mon corps m'appartient » mais qui a dit « ceci est mon corps », et surtout, celui dont on a dit, en montrant son corps : « ecce homo » - « voici l'homme ». L’eucharistie est un mystère d'accessibilité, un mystère de sacré accessible et exposable. La parole de Greta Christina est, malgré l'ignorance, un acte de foi eucharistique, et elle demande que cette eucharistie soit exposée.
Et Martin Steffens le relève avec justesse, la première des expositions eucharistique est celle de la crèche, celle que la femen ne veut pas voir.