Posté par Thomas Debesse le 17/08/2017 à 15:50. Licence CC by (copiez-moi !)
Ivan Konstantinovitch Aïvazovski, La neuvième vague
Je découvrais aujourd’hui une petite vidéo que j’ai trouvé remarquable de délicatesse. Je vous en partage les quelques mots :
- Le premier amour est celui juvénile, qui semble sorti d’un conte de fée. Cet amour sert à nous faire comprendre que la réalité peut ressembler à un rêve. Il ressemble à un conte de fée même s’il est de courte durée. On est convaincu que cet amour durera pour toujours, mais ça ne pourra pas être le cas car on est immature et inexperts.
- Le second amour est dramatique, compliqué et litigieux. On vit des moments d’euphorie intense et un instant plus tard on s’engouffre dans la colère. C’est un va-et-vient de hauts et de bas qui crée un dépendance émotionnelle. Cela sert à nous faire comprendre ce que nous voulons de l’amour… Et cela n’est pas ce que peut offrir la personne avec qui on est.
- Le troisième amour éclate soudainement. Ce n’est pas un conte de fée comme le premier, ni recherché comme le second. C’est un amour dépouillé, où il n’y a pas de pression de devoir être la personne que l’on n’est pas. Il ne ressemble à aucun des amours précédents. C’est un amour calme, il grandit sans trop d’attention. Le troisième amour montre clairement la raison pour laquelle ça n’a pas marché les autres fois. Il a tout les ingrédients pour durer éternellement.
Les trois amours
Avec mes trente années de célibat joyeux, et autant d’années de virginité heureuse et épanouissante, je connais aussi ces trois amours et je pourrais en parler longuement.
À ceux qui ont épousé leur première amour, ou la seconde, j’aimerai dire ce que la vidéo oublie de dire : ces trois amours peuvent se vivre avec la même personne, ce qui change dans ces trois amours ce n’est pas l’autre, c’est nous-même.
Le chemin de notre vie nous fait rencontrer différentes personnes qui nous éveillent, parfois doucement, ou nous réveillent, parfois durement, à notre propre conversion. Mais c’est toujours nous-même qui nous convertissons et devenons capable d’aimer.
Il y a cette amour de conte de fée, immature et adolescente, qui éveille en nous le désir d’une grandeur et d’un absolu. Cette amour est vouée à se consumer en cendres, mais en laissant la cicatrice indélébile de ce désir d’absolu. Cette amour creuse cette cicatrice délicate et bienfaisante qui subsiste secrètement même si ce désir venait à être oublié, cette marque profonde se tient là pour le réveiller et le rappeler. Ainsi reste cette cicatrice qui ne se manifeste pas d’elle-même, mais qui, sans faire de bruit, avec beaucoup de patience, attend le moment propice pour être réveillée.
Il y a cette amour compliquée, où le désir anéanti laisse la place au besoin et se confond avec lui. Cette amour est un amour de travail, d’efforts et d’erreur. On recherche dans l’autre ce dont on a besoin et on se blesse mais dans ces blessures on découvre qui on est, on apprend à ne plus chercher un rêve, à être un autre soi que l’on ne sera pas. Dans ces blessures on se découvre, parfois très brutalement, toujours douloureusement : faible, vulnérable, fragile. Ce qui désormais apparaît infini à nos yeux et à notre cœur, c’est notre misère. Le désir perdu a creusé en nous cette place pour l’infini. En s’anéantissant, le désir d’absolu laisse toute la place au vide que nous sommes.
Si la première amour s’aveugle de soi et s’aveugle de l’autre pour s’illusionner d’un bonheur aussi grand qu’il n’a de prise sur le réel, la seconde amour n’a pour elle que la brutalité et la misère du réel. Faiblesse, dépendance, besoin : il semble ne rester qu’indigence et misère. De cette indigence et de cette misère, de ces matériaux de naufrage et qui nous tirent vers le fond, la seconde amour essaie de construire un radeau de fortune qui ne mènera nulle-part, et qui doit y aller.
Mais ces chemins sans issues, ces recherches vaines, ces moments où l’on s’agrippe, où l’on se retient, et où l’on se prostitue parfois nous ramènent par la trivialité de nos besoins à nous-même, à notre acceptation, et à notre réconciliation, celle d’avec nous-même. Après le désir d’absolu vient l’absolu de nos attentes et de nos besoins, absolu qui vient creuser peu à peu une place pour l’absolu de notre désir.
Alors enfin, et seulement à cet instant peut naître un désir qui n’est ni un rêve ni un besoin. Il n’y a pas de crainte ni de peur. Le temps est un ami, les attentes sont des délicatesses, la distance même se révèle en confidente qui nous découvre et nous fait nous retrouver. La présence est une paix libérée des besoins et des peurs. Alors on découvre que l’autre n’est pas celui que l’on idéalise, l’autre n’est pas celui dont on a besoin, qui nous appartient ou auquel on appartient : l’autre est celui qui se donne à soi, l’autre est celui à qui on se donne, à qui on aspire à se donner. Et cette aspiration est proprement un désir éternel.
Ce désir est un mystère, c’est-à-dire qu’on ne cesse de l’explorer. Ce désir n’a de cesse non parce qu’il est un manque qui ne peut trouver satisfaction, mais parce qu’il est une plénitude qui n’en finit pas : tu ne m’appartiens pas : « je t’aime pour que tu sois libre. Je t’aime pour que tu sois libre d’aimer à ton tour, je t’aime pour nous libérer ».
Il est important de vivre ces trois amours et de se laisser atteindre par chacune d’elles, car aucune de ces amours ne peut se découvrir sans être préparée par celle qui la précède, et seule la troisième est éternelle. Si vous vivez cette première amour, peut-être pourrez-vous naviguer jusqu’à la troisième avec la même personne, mais pour cela vous devrez vous découvrir et vous redécouvrir trois fois.
On dit parfois qu’aimer n’est pas se regarder l’un l’autre mais regarder dans la même direction. Pour observer une étoile, il faut regarder au-delà de soi, au-delà de devant soi, il faut mettre au point sur l’infini, et cet infini se découvre en miroir de notre petitesse.
N’oubliez pas : l’amour ne ressemble pas à un orage, mais à la nuit suivant une forte tempête. Si vous ne l’avez pas vécue, cette tempête viendra mais ne vous y préparez pas : vivez pleinement l’amour qui vous est donnée aujourd’hui. Si vous êtes dans la tempête, ne cherchez pas le jour : attendez la nuit. Car c’est dans la nuit que se regarde l’étoile.