Chemin, bottes et chocolat


Posté par Thomas Debesse le 12/10/2015 à 09:28. cc Licence CC by (copiez-moi !)

Pèlerinage de Chartres
Bonjour, votre humilité est vaine parce qu’il y en a un au fond qui est trop fier de ses bottes.

Voilà, parfois on revient d’un pèlerinage plein de grâces et la première chose que l’on voit à son retour est le message d’un abstentionniste qui met en avant un gars un peu trop fier de ses bottes pour se plaindre, faisant rejaillir sur des milliers de personnes le petit orgueil d’une brebis perdue, sans mesurer tout le mal qu’il fait en donnant une telle tribune à une personne qui n’en mérite pas tant.

Et voici que les uns et les autres répondent « Et voila comment des gens qui hésitent à aller à ce pèlerinage renoncent pour ne pas se retrouver dans un groupe politisé », trompés par l’illusion que donne nos mécanismes médiatiques, quand un seul individu mis en avant peut dissimuler une armée. Eh bien sans ce type de relais absolument inutile, beaucoup ne renonceraient pas, parce que personne n’entendraient le bruit couvrir la symphonie.

Ce type de coup de projecteur sur l’inutile est irresponsable, surtout pour quelqu’un qui sait comment fonctionnent ces mécanismes, quand on sait comment l’aiguille peut cacher la motte de foin.

Bref, à mon retour de pèlerinage, cette année, je me suis un peu pris le bec avec Erwan Le Morhedec pour des bêtises de ce genre. Et puis à un moment je me suis dit que tout ça est trop dangereux quand c’est fait sans recul, donc j’ai fermé mon bloc-note. Et j’ai attendu cinq mois. Histoire que tout ça se tasse et que j’évite de m’emporter, en espérant ne pas manquer de charité, une fois tout cela reposé.

Donc ce billet est pour Erwan Le Morhedec, il sera donc écrit de la première à la seconde personne. C’est une invitation.

Cher Erwan

Voilà, au cas où vous vous mépreniez : je suis bienveillant envers vous. Et même s’il m’est déjà arrivé de vous relayer dans mes colonnes, en bien, il est vrai que j’ai tendance à ne vous répondre que lorsque je ne suis pas d’accord avec vous ce qui peut fausser la relation. Ben oui, quand je suis d’accord avec vous je n’ai rien à ajouter, ce qui arrive bien trop souvent en fait.

Je serai peut-être un peu sec et cassant (comme un carré de chocolat), mais tout cela est pétri de bienveillance (comme un carré de chocolat).

C’est juste que face à l’amour propre, il n’y a que la violence qui ait un peu de prise, et ça laisse plus de place à la douceur.

La crainte d’être mal jugé

Citation :

Marrant, moi, je reviendrais d'un pèlerinage, je serais assez furax qu'un parti fasse sa com sur mon dos. Chacun ses sympathies.

Veuillez s’il vous plaît garder votre amour propre pour vous et ne pas le projeter sur les pèlerins. En fait tout ce que vous révélez c’est votre crainte d’être mal jugé, la crainte d’être jugé complice par un silence dont vous craignez qu’il soit interprété comme une sympathie, et vous révélez que le pire jugement que l’on puisse porter sur vous est de vous associer à des gens qui sont un peu trop fiers de leurs bottes !

Ah, juste en passant, le petit argument ad hominem vous pouvez vous le garder, vous savez faire mieux que ça, vous vous déshonorez.

« La com sur votre dos », tout est là, vous vous sentez blessé dans votre amour propre parce que quelque chose vous rapproche entre ces gens et vous : ça vous arrangerait bien qu’ils soient athées plutôt que chrétiens, car s’ils sont chrétiens, ils portent la même croix que vous sur le même dos, et ça vous ne pouvez pas le supporter.

Alors voilà, le pape François aime bien nous répéter d‘aller aux périphéries, et il n’est pas le premier à le répéter, et je ne l’ai pas attendu.

Aller aux périphéries, toutes les périphéries

Ce pèlerinage était mon seizième, j’ai vu beaucoup de monde marcher sur les routes de Chartres. Pendant toutes ces années j’en ai vu passer des périphéries. J’ai accompagné un homme tellement alcoolique qu’il faisait un malaise s’il ne pouvait pas boire dans les 15 minutes, repris de justice, il avait abandonné trois femmes et une multitude d’enfant. Nous avions conclu un contrat, je portais ses bouteilles (j’avais pris du whisky pour alléger mon sac) et il marchait en attendant jusqu’à ne plus tenir, et lorsqu’il ne pouvait plus tenir, il devait se forcer à boire de l’eau jusqu’à ne plus pouvoir déglutir, et alors, seulement, il prenait sa dose, assuré de ne pouvoir faire autre chose que tremper ses lèvres. On disait pour rire que c’était son gasoil, et il en riait aussi. Est-ce que cette marge était assez digne pour faire le pèlerinage de Chartres ?

Et cet autre homme, cet homme porteur du sida qui se revendiquait fièrement gérontophile et que j’ai accompagné, est-ce que cette marge était assez digne pour faire le pèlerinage de Chartres ?

J’en ai accompagné qui ont failli rater le départ parce qu’ils étaient allés chercher leur dose, mais pas leur dose de pain béni. Était-ce une marge assez digne pour faire le pèlerinage de Chartres ?

J’ai accompagné un homme tellement illuminé qu’il a marché 100 km en ne mangeant que de la salade, vagabond volontaire et athée, il n’était pas très sûr de chercher le Christ, est-ce que cette marge était assez digne de faire le pèlerinage de Chartres ?

Alors pourquoi ne pas marcher avec des gens un peu trop fier de leurs bottes, ceux-là seraient-ils exclus de la miséricorde divine ?

J’ai vu un homme tellement abîmé qu’il savait qu’à 36 ans c’était son premier et dernier pèlerinage de Chartres, et il nous avait promis de nous botter les fesses de là-haut l’année suivante, ce qu’il a fait.

Mais ses bottes à lui, ce n’était pas les siennes.

J’ai vu aussi des minettes portant scapulaire façon illustration de vendéen glorieux pour ado boutonneux, crâner avec une mantille en dentelle immaculée (du genre toute seule sur 10 000 personnes) parce qu’en fait, la dentelle c’est pas si moche comme coquetterie et ça attire le regard des garçons. Mouarf. Le genre de minette à qui on a envie de dire, « viens, mais viens avec ta dentelle, attend juste la grêle ». Ah elle n’est peut-être pas seule, il y a peut-être là bas une vieille fille avec une mantille aussi, mais bleue, et qui n’a pas compris après 50 ans que la stratégie ne marchait pas. Et pourtant elle est infiniment aimable, la preuve, il y a un Dieu qui l’aime infiniment.

Est-ce une marge assez digne ?

De même ces coquettes qui prennent tant de temps à se maquiller les paupières, oubliant que le maquillage de paupière ça n’est esthétique que lorsqu’elles gardent les yeux ouvert ou qu’elles clignent des yeux, mais que c’est moche au possible quand elles ferment les yeux deux minutes à la pause laissant apparaître deux belles grosses tâches immondes au milieu de leur figure à la place des yeux (parce que c’est connu, si elles ferment les yeux, personne ne les voit), et que là aussi, ça survit peu élégamment à la pluie.

Est-ce une marge assez digne ?

Ce que je vois, c’est qu’ils sont là. Avec leurs bottes, leurs sandales ou leurs espadrilles.

Je me méfie des bien-pensants qui excluent les gens pas bien comme il faut, parce que je suis une marge à moi tout seul.

J’imagine Jésus refuser l’aide de Simon de Cyrène parce que ce dernier serait un peu trop fier de ses rangeos, en fait non je n’imagine pas.

Alors oui, il y a des pèlerins bien trop fiers de leurs bottes, mais justement, je pense que le meilleur qui puisse leur arriver, c’est de faire le pèlerinage de Chartres et de prier avec leurs pieds, en usant leurs si jolies bottes.

Si vous pensez que ces gens ne sont pas assez chrétiens, la meilleure chose que vous puissiez souhaiter pour eux est qu’ils fassent le pèlerinage de Chartres. Et s’ils n’ont pas compris cette année, surtout, surtout, surtout, qu’ils reviennent l’année prochaine, donnez-leur une nouvelle chance. Tendre l’autre joue n’est pas du masochisme, c’est permettre à son prochain de se retrouver à nouveau à devoir choisir entre la faute ou la bénédiction.

User ses bottes est une bénédiction. Une paire de sandale me fait généralement trois pèlerinages (elles mes servent toute l’année aussi), je souhaite que leurs bottes fassent au moins une dizaine de pèlerinage, pour que lorsqu’elles seront usées, lorsqu’ils seront fiers de leurs bottes usées, leur cœur aura changé.

Suivre nu le Christ nu

Réfléchissez bien, quel catéchisme, quelle morale vous intime de penser que toutes les marges sont acceptables sauf celle-ci, celle qui est trop fière de ses bottes ? Vous découvrirez que ce n’est pas le catholicisme. Et de cette morale, je ne crois pas qu’au fond de vous vous en sentiez très complice, en fait.

Sur le chemin de Chartres, les seules choses qui nous unissent sont nos prières et nos cloques aux pieds, bottes ou pas bottes. On y va tous pour s’y convertir, même quand on ne le sait pas.

Ce qui est drôle c’est que nous venons au pèlerinage de Chartres pour nous convertir, mais certains comme vous pensent que d’autres doivent d’abord se convertir s’ils veulent faire le pèlerinage de Chartres.

Et le plus drôle est que vous justifiez cela par « je reviendrais d'un pèlerinage, je serais assez furax qu'un parti fasse sa com sur mon dos », or, ce qui parle ici, ce n’est pas la charité, c’est l’amour propre et le respect humain. Il n’y a qu’une seule chose à faire avec l’orgueil : l’emmener au désert, le mettre à nu et le faire mourir de soif (Ez 16). Vous savez, quand on se rend compte que lorsqu’on a déposé ses parures, ses vêtements, ses armes et ses bottes, il ne reste plus que le corps nu sur la terre nue, et l’on découvre alors que tout ce que l’on a n’est pas de main d’homme. C’est l’étape nécessaire et inévitable avant les fiançailles (Os 2), avant d’être reconnu comme la bien-aimée (Ct 8).

Une citadelle assiégée de l’intérieur

Les brebis perdues sont rarement sympathiques, aller à la recherche des brebis perdues est rarement sympathique. Mais la mode c’est de déclarer « je ne te connais point » à toute personne qui n’est pas parfaite, et quand la brebis ne plaît pas, on fait tout pour l’exclure du troupeau et l’abandonner, ce qui n’est pas franchement évangélique.

Si certains marcheurs ne sont pas tout à fait dans une démarche de pèlerin, ce qu’il faut faire, c’est leur apprendre la démarche du pèlerin, pas leur mettre le visage dans leur fèce pour éclabousser les passants.

Qu’avez-vous fait pour les accompagner sur le chemin de la conversion ?

L’Église n’est pas sainte parce qu’elle retranche ses membres malades, mais parce que les membres malades se convertissent. On ne pourra jamais être chrétien dans la cité si on s’empresse de crier « c’est pas moi » dès que son frère fait un pas de côté.

L’Église est une citadelle assiégée de l’intérieur. Quand on aura compris cela, on arrêtera de construire des murs entre les chrétiens, mais on dressera enfin des murs entre le bien et le mal.

L’ami chocolat vous veut du bien

Voyez, puisque « vous seriez furax qu’un parti fasse sa com sur votre dos », je vais vous raconter une anecdote de parti.

Cette année une personnalité politique a marché dans mon chapitre sur deux étapes, je ne sais pas trop pour quelle raison, peut-être pour s’entretenir avec quelques personnes choisies dans un savant calcul, mais je ne veux pas médire, je pense que malgré sa brève présence dans mon chapitre, cette personne faisait une véritable démarche de foi et un vrai chemin de pèlerin.

Je ne me suis pas rendu compte tout de suite de sa présence ni qui était cette personne, et il est probable que je ne m’en sois jamais rendu compte si un ami ne me l’avait pas dit, tellement ça m’en touche une sans faire bouger l’autre.

Ce que je sais c’est que lorsqu’à cette personne j’ai proposé à boire et du chocolat, cette personne m’a répondu qu’elle avait ce dont elle avait besoin. Je me suis dit que c’était dommage d’avoir encore tout ce dont on a besoin le troisième jour d’un pèlerinage, tant de suffisance… Et franchement, refuser un carré à l’ami chocolat à Chartres, c’est du gâchis.

Pécheurs indignes de se convertir

Pour vous, il y a des pécheurs qui ne sont pas dignes de venir se convertir à Chartres, parce que vous ne souhaitez pas qu’elles portent la même croix que vous sur le même dos que vous.

En fait, tout ce que je peux vous souhaiter, c’est de venir marcher vers Chartres. J’ai marché six ans avec le chapitre Saint Benoît Joseph Labre. Vous savez, ce saint dont on raconte qu’il avait fait vœu de ne pas se laver. Ce chapitre n’est peut-être pas adapté, si vous voulez, je peux fonder le chapitre du jeune homme riche pour vous accueillir. Mais je vous préviens d’avance, je n’ai absolument aucun charisme pour cet apostolat.

Remarquez qu’accompagner le pauvre des pauvres et le pécheur des pécheurs ne signifie jamais avoir sympathie pour le péché. Je n’ai aucune sympathie pour votre amour propre tout comme je n’ai aucune sympathie pour les bottes, mais par contre je serai très heureux de vous accompagner. Oh n’ayez crainte, je vous épargnerai la nuit sur les quais de Seine le vendredi soir avec des personnes pas trop bien fréquentables, on fera ça proprement.

Vous savez, c’est la prostituée qui est emmenée au désert (Ez 16, Os 2), et le Christ qui dit « J’ai soif » à sa place (Jn 19), alors la femme qui a eu cinq maris s‘écrie « Comment vous ? me demandez-vous à boire ? à moi ? », et le Christ qui a dit « J’ai soif » ajoute : « Si vous connaissiez le don de Dieu, et qui est celui qui vous dit : Donnez-moi à boire, vous même lui en auriez fait la demande, et il vous aurait donné de l’eau vive ».

Je prépare mon dix-septième pèlerinage de Chartres, voulez-vous que je vous accompagne ?

C’est une sincère invitation, vous êtes une marge assez digne, et j’ai du chocolat.

Et de l’eau.


Addendum par Thomas Debesse le 12/10/2015 à 13:13.

Un pèlerin fait remarquer avec justesse que souvent dans mon chocolat, il y a du piment (histoire de ne pas rester sur une note trop mielleuse).


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